Dessins avec Courbet

Femmes à la coiffe tuyautée : L’enterrement à Ornans, 1849,
Musée d’Orsay, Paris

Dessin fait de mémoire d’après L’enterrement à Ornans, 1849, Musée d’Orsay

Le hamac, 1844, détail de la rêveuse, Collection Reinhart, Winterthur  CH

Variation d’après Gustave Courbet

Dessins d’après Courbet

Feuille d’études

Enfant de choeur d’après L’enterrement à Ornans, 1849, Musée d’Orsay Paris

Regard d'enfant d’après L’enterrement à Ornans, 1849, Musée d’Orsay Paris

Femme au chapeau de paille d’après Les demoiselles de village, 1853, Metropolitan Muséum, New-York

Re-bonjour monsieur Courbet

 « Après une administration funeste qui semblait s’être donné à tâche de tuer l’art dans » L’ATELIER DU PEINTRE au musée d’Orsay, au nom d’une restauration esthétique, arrive le grand moment des étonnantes récupérations du bicentenaire de Gustave Courbet. Par exemple, ce 10 juin, avec 500 policiers pour... une ville morte, le président Emmanuel Macron a rendu hommage à « Gaston » le Réaliste (COURBET, l’art d’être libre jusqu’en politique).

Et maintenant, on parle de panthéonisation !...  alors que le peintre des peintres a sciemment refusé la légion d’honneur (1870).

Sans doute, est-ce cette insoumission qui lui valut de porter la responsabilité du déboulonnage de la colonne Vendôme (1871-1873).

Or les artistes visuels n’ont guère besoin d’un lieu monumental républicain. Leurs œuvres picturales ne sont-elles pas à regarder par le geste de la main, un genou à terre ?

C’est donc ce que j’ai tenté dans quelques dessins qui, insensiblement, m’ont fait percevoir le petit côté cubiste (avant l’heure) dans la truculence de la matière sensible du métier à l’huile.

Je me permettrai d’afficher cela par épisode :

Le voyageur d’après La rencontre, 1854, Musée Fabre, Montpellier

Le valet d’après La rencontre, 1854, Musée Fabre, Montpellier

La femme qui pleure d’après L’enterrement à Ornans, 1849,
Musée d’Orsay, Paris

Regard, détail d’après La femme aux bas blancs, 1861,
Fondation Barnes, Merion, USA

L’Atelier du peintre du M’O 4/4 - F

Suite des analyses visuelles ‘après restauration’ :

10) –  F  Beauté et spécificité de la muse du peintre

Regard sur un témoignage optique… Explorons par analogie certains parti-pris formels de Gustave Courbet. L’élan vertical de cette cascade nous propose des leçons spatiales de lumières, de matières et d’air –  aptes à féconder l’imaginaire ?

A gauche : une cascade dans le Jura, non loin des sources de la Loue (Franche-Comté), au cœur des forêts et paysages de Gustave Courbet.

Les caractéristiques de cette scène –  élan, statique, lumière, couleur, timbre, espace, etc. –  sont autant de richesses naturelles à bien percevoir en tant que convenances optiques pour la sensibilité visuelle, principes de dessin, contexte de la genèse d’une œuvre, ou ‘sources’ d’un rendu pictural.

A droite, détail central du grand Courbet : le drap blanc est comparable à une chute d’eau… une source comme ‘issue’ de la figure de la Muse. Considérons cette subtile mise en espace derrière/devant, les ramifications élégantes du tissu, l’apparition étrangement statique du modèle nu : allégorie probable de la «Vérité» en peinture.

Peut-on affirmer à partir de telles juxtapositions que cette exemplarité naturelle, cette Culture visuelle imprégnée de souvenirs et d’un vécu de terroir – sollicitée au moment de la conception du tableau–  soit aussi le sujet de l’Atelier ?

A priori, on ne trouve dans l’œuvre de Gustave Courbet aucune représentation directe de cet élément pittoresque et poétique pour étayer complètement cette thèse.

Le tableau Le Gour de Conche (musée des Beaux-Arts de Besançon) pourrait-il conforter notre ressenti visuel ? C’est une peinture réalisée en 1864, donc postérieure aux possibilités d’évocation analogique.

Habituellement, l’érudition historique se contente de produire la photographie dite : Etude de nu d’après nature de Julien Vallou de Villeneuve, puisque ‘réclamée’ dans une lettre de Courbet auprès d’Alfred Bruyas pour s’en inspirer – fort librement d’ailleurs (en 1854) ? Cette référence, certes documentée, apparaît néanmoins comme anecdotique face aux vrais ressorts du faire de la création artistique et à la question conceptuelle des moyens de la représentation picturale.

Le témoignage photographique reproduit ci-dessus se situe à cet égard dans une autre perspective. Au-delà d’une évocation concrète des rochers et eaux profondes du terroir, il indique l’origine potentielle d’autres tableaux réalisés dans le Jura. Cette chute d’eau paraît plus qu’un motif à peindre simplement : une scène de nature assurément marquante pour un esprit visionnaire dont la mémoire visuelle faisait l’étonnement de ses contemporains. Postulons que plus que des images ou des ressources équivalentes ont pu fertiliser la sensibilité du peintre, et l’habiter comme éléments d’une Culture profonde, propice au développement d’une expérience picturale Réaliste.

La nature – maîtresse des peintres – offre de vraies propriétés visuelles d’élan, de dégradés progressifs et de tonalité atmosphérique, des dénominateurs esthétiques de référence. Remarquons à cet effet que :

a) -les blancs de l’eau sont plus denses ou saturés au sommet d’une cascade… et de plus en plus épars ou clairsemés, mêlés d’ombres vagues, au cours de leur chute aérienne et avant d’avoir atteint le sol. Or ces propriétés d’un écoulement vertical qui ricoche à chaque palier trouvent dans l’Atelier du peintre un écho manifeste dans le traitement du tissu blanc tenu par le modèle, entre le sommet, ferme et tendu, et les parties inférieures plus lâches, d’une tonalité adoucie, atténuée.

b) -les rochers de la falaise sont relativement plats, gris et froids à la base et toujours plus en rondeurs et chauds dans les hauteurs. Or il se trouve que, dès l’amorce de la chromie, même en N&B, la peinture du nu incarne ou transpose ce type de qualités optiques. Si l’on considère la figure, cuisse, fesse et hanche sont des surfaces relativement plates, d’apparence froide; alors que le bras, l’épaule, le cou, le visage paraissent se réchauffer et prendre du volume dans les lumières culminantes.

c) -les plans supérieurs sont aériens car baignés dans une brume de lumière (la photographie évoquée de Vallou a-t-elle été représentative pour la part mystérieuse du visage du nu ?). Les notions de flou, d’air, d’atmosphère, de climat sont essentielles dans l’art des anciens maîtres. Pour conférer une stature au nu dans l’Atelier, chaque partie du corps reçoit un traitement particulier : les pieds et les genoux sont couverts, la cuisse et le bassin sont dessinés en courbes fermes et mielleuses, le buste (la gorge) est chantourné de profondeurs, le cou en tension, et l’expression du visage paraît mélancolique, une énigme complexe qui glisse vers le vaporeux… (cf. le visage du modèle photographié par J. Vallou de Villeneuve). Et en lien, semble-t-il, avec le fond de texture jurassienne au calcaire craquelé d’éclats – un aspect naturel qui lui confère une aura de Muse !

Cette figure nue, bien articulée à la scène centrale, a toujours été une source d’étonnement émerveillé. Voici comment Eugène Delacroix, de 21 ans l’aîné de Courbet, la saluait : «il y a de l’air et des parties d’une exécution considérable : les hanches, la cuisse du modèle nu et sa gorge»;

Jean-Jacques Henner (1829-1905), son cadet de 10 ans : «Et cette figure nue, avec quel talent, quel goût elle est faite !»;

Citons aussi l’ensemble des contributeurs à l’achat du tableau par le musée du Louvre en 1920, chacun d’eux portant témoignage sur l’état de perfection du grand tableau à l’époque (dossier presse p.24).

Et combien d’autres, jusqu’à Balthus et Raymond Mason (cité de mémoire) : «il y a avec ce nu, au centre de l’Atelier, un morceau de peinture d’une exécution formidable de l’un des artistes les plus colossaux de France».

Avant restauration : l’illusion harmonique est à sa perfection «les plans sont bien entendus, il y a de l’air»[sic]; c’est aussi le merveilleux et le superbement poétique qui sont immergés en interaction, parfaitement articulés au cœur même de l’Atelier du peintre.

Comme un enfant : c’est l’Admiration devant l’acte de peindre. Le petit paysan est en haillons, le coude percé (les restauratrices ont ravaudé celui de Courbet !); sa bretelle est en tension comme le souffle… Entre son profil perdu et la colonne claire – à l’aplomb de la main du maître–  une forme énigmatique, ‘lumière’ fantomatique sur le paysage, telle une exhalaison de son être –  comme un ‘Ouah !?’

En contrebas, c’est la nature faite chat; avec son contrepoint en écho, le débordement du coussin sur la chaise.

La robe du modèle ou les dessous féminins «qui n’ont pas encore achevé de se replier sur eux-mêmes»; arrive l’extraordinaire, l’élévation de la figure nue…

En fait, chez Courbet tout s’articule avec une justesse naturelle. Chaque élément est porteur d’un élan particulier de vie, donc d’un sens commun selon sa valeur optique ressentie et peinte. Tous ces agencements construisent un ordre, présence réelle incarnée en pleine pâte, manifestement reprise d’une seule venue par des raffinements ultimes de jus ou de glacis.

Quand G. Courbet dit qu’il retouche, c’est qu’il parachève une harmonie, une perspective aérienne en peinture vraie – assurément plus efficiente et juste que la pseudo 3D artificielle (cf. fin du billet du 28 févr. 2015), illustration d’un mode de pensée totalement arbitraire, prétendument pédagogique, mais en fin de compte absurde, inculte et hors sol !

A gauche : même référent ‘naturel’ au cœur des forêts du Jura; un invariant extraordinaire pour G. Courbet ? – Assurément un flux d’énergie et de vie…

A droite, détail du nu de l’Atelier du peintre après restauration (en N&B froid). Le drap blanc est devenu rigide comme du papier froissé, d’une lisibilité sans mystère. Tout est relativement sec, ainsi que le serait le premier état d’un travail spontané, mais alourdi de modulations sans ampleur, sans cet élan, ce précipité aérien de chute d’eau.

Quant au nu, il est refaçonné en ronde bosse ‘académique’; là aussi, trop d’effets tuent l’articulation juste d’une authentique diversité harmonique. Mais pire, en maints endroits les ombrages paraissent usés et faux; les volumes irréalistes avec un fond sans âme, car presque sans matière. Notons aussi le cerne foncé entourant l’arrière du corps, moyen élémentaire (académique) pour ‘bloquer un volume’ et le détacher du fond.

Observons l’effet produit par la confrontation entre ‘la nature’ et l’aspect étrange de cette figure ‘après restauration’. C’est pathétique de bout en bout… Visuellement et formellement, la scène s’avère bien plus monotone que l’aspect d’une simple photographie du Jura (réalisée au téléphone portable).

– Au côté du ‘naturel’… le grand Courbet a perdu sa grandeur et sa beauté.

En d’autres termes, la figure emblématique de la Muse, cet authentique manifeste du Réalisme au cœur de l’Atelier, a été très stupidement dégradée.

Ce que nos yeux ont vu, analysons-le maintenant avec des mots. Pour mémoire ce rappel des trois points évoqués précédemment, mais ici considérés après restauration :

a) -entre le haut et le bas, les qualités d’élan naturel et progressif qui animaient le tissu sont maintenant rompues; les blancs trop blancs et secs. Leur discontinuité est marquée d’accents tranchants (métalliques) de haut en bas, et là où les plis se cassent; tout cela paraît fort loin du réalisme naturel, donc d’une maîtrise finale accomplie, à l’image d’un ruissellement dynamique ou de structures dissipatives dans l’air ;

b) -le nu ressemble maintenant à ces figures rebattues ou scolaires, aux «des volumes bloqués par derrière» comme l’on dit dans les académies; voir par exemple le bassin uniformément galbé, tout comme la fesse, le bras ou l’avant-bras; celui-ci est bariolé de débordements sans douceur (à droite contre le fond, à gauche avec les mâchouilles au poignet !). Par ailleurs, la notion de chaud ou froid graduée – perceptible jusqu’au vertige avec la photographie de la cascade –  n’est plus incarnée par la grande figure ;

c) -le cou et l’inclinaison douce, mystérieuse, du visage étaient la beauté même pour tout regardeur; elle résultait de jeux spatiaux subtils, désormais altérés. Entre le premier plan (lieu d’étonnement et de chatterie avec la robe rose), et le mouvement de bascule derrière une toile vivante, il n’y a plus de sensation atmosphérique. Ainsi, si l’iconographie a évidemment survécu (on prétend avoir retrouvé un bras droit), mais les propriétés plastiques de fusion esthétique sont dorénavant ravalées, découpées par excès de recherches dogmatiques en lisibilité.

En haut à gauche, état avant restauration : atmosphère choisie, délicatesse de l’expression, harmonie...

En haut à droite après restauration : détail en N&B, hors de l’illusion de couleurs restituées les pertes de dessin sont époustouflantes. Après la dite «réintégration» officielle (avouée ou prétendue), la mâchoire est grossière; le front, la coiffure, l’œil et la joue sont comme éboulés…; la bouche est réduite à une moue étriquée, le menton est absurde, etc., etc. Aussi, la suggestion mélancolique (juste esquissée d’une pose avec l’avant-bras droit souligné au poignet) donne maintenant l’impression d’une mauvaise résurgence rocailleuse d’un rocher ocre mal fini d’un arrière-plan… – En guise de découvertes de l’original, c’est un tremblement de terre ! Et que dire de la descente d’astéroïdes sur la tête du modèle nu ?

En bas à gauche, différentiel objectif après restauration : les surfaces grises correspondent à l’enregistrement d'écarts entre les deux états. Ces surfaces «allégées» correspondent à 44,91% du travail de finition nécessaire aux nuances.

En bas à droite, en fausse couleur ‘rose-carmin’, après restauration : révélation soulignée, en réduction ou mise en évidence sur le N&B; c’est effectivement l’essentiel du travail de réglage de la dernière main d’une authentique maîtrise qui a été escamoté dans l’intervention… – Assurément, part ancienne, créative et extraordinaire de reprises originales, celles qui dessinaient les plans et les mettaient en espace !

Que reste-t-il ici du jeu plastique fondamental donnant vie à l’œil, émotion au visage, qualité à la main, ou juste profondeur et texture réaliste aux arrière-plans... ?

A gauche, état avant restauration : plus largement cadré, le travail pictural est splendide, la maîtrise patente. L’œuvre s’épanouit en modulations et en choix divers, car sur ce long détail ils s’avèrent variés.

Au centre, après restauration, réalité en N&B : l’application du principe de ‘lisibilité’ laisse un nu lourd et trapu qui n’a plus son élégance naturelle d’avant restauration; les tissus sont scarifiés d’accents et d’ombres lourdes; la chaise n’est plus en bois, elle a perdu son réalisme et semble comme en plastique; et le troisième plan est en ‘fond de guérite’… A gauche, l’épaule du peintre est d’apparence plate, hors nature; le drapé en papier mâché n’épouse plus la cuisse, le sexe n’est plus à sa place; et le sein paraît maintenant passer devant le geste pudique de la main…– quel tableau !

A droite, imagerie en jaune doré du différentiel entre états : or vu la répartition des étendues mises en évidence après restauration – surfaces qui, dans tous les cas observés ne sont ni étales (résultant d’un nettoyage homogène et superficiel), ni composées de quelques renforcements simples (renforcement des contrastes clair-obscur imputables à quelque infidélité possible des photos).

Apparaissent donc bel et bien des distorsions tout à fait symptomatiques d’un nettoyage aveugle. Par exemple, c’est la part droite du pan en descente sur la cuisse qui ne capte plus la lumière nécessaire à la portée affective. Cf. également les lignes de la fesse, de la hanche ou de la nuque qui ont perdu leur beauté absolue et simple, procédant d’une maîtrise du dessin.

Bien des détails invisibles pour les yeux du profane et qui, pourtant, sont la trame de l’œuvre ont été restitués de manière inappropriée. Voilà la triste vérité qui apparaît à l’analyse. Zone par zone, détail par détail… le concept de «lisibilité» a décimé l’ensemble du pictural; affaibli la portée affective, le sens, la richesse visuelle de la Muse dans l’Atelier.

Massacre chimique à coup ‘de cotons’ par des cocktails de solvants, pour donner à une figure emblématique de l’Art accompli un effet de propreté et de jeunesse factices. Ainsi, c’est le premier état de l’œuvre –  trop touffu, bancal et incomplet –  qui a été remis sous les projecteurs.

Détail par détail, il est optiquement avéré que ce sont plus que les jus, glacis et vernis originaux de G. Courbet qui ont été escamotés alors même que la doctrine du C2RMF proclamait :

«L’allègement moyen des vernis (…) laisse sur l’œuvre une couche significative de résines anciennes de restauration qui garantissent le degré mesuré de l’intervention.» (C2RMF, courrier du 15 avril 2015). Néanmoins, nous avons l’illustration type d’un allègement décapant qui contredit cette assertion… (cf. CR du 5 déc. 1989 en annexe). Le dossier de presse final légitimait d’ailleurs cette intervention par la possibilité matérielle et hors public d’une nouvelle et troisième opération :

«La restauration du support a permis de prendre conscience que l’allègement du vernis n’était pas encore suffisant pour rendre une bonne lisibilité à l’œuvre. De nouveaux tests ont été réalisés et soumis au comité scientifique. Le traitement du support a réduit les déformations de surface rendant possible un allègement plus régulier et plus poussé. Le brunissement créé par les vernis a pu ainsi être limité».[sic]

– Quel auguste raisonnement ! Hélas, comment croire en cette mission salvatrice ‘anti-brunissement’ au ‘plus régulier et plus poussé’ après ce que nous venons encore de révéler  ? – Comment faire confiance à cette supposée restitution par allégement modéré ?... alors qu’elle se déclare toujours insuffisante et mène sans cesse à de nouveaux allègements, cautionnés par une autorité ‘scientifique’ bien éloignée des subtilités de l’Art visuel !

En plusieurs étapes moyennes des dites ‘restaurations’ il s’est opéré une intervention radicale – hors mesure, ou non mesurée visuellement ! Approche abstraite des matériaux conduisant à un réductionnisme absurde, concret et irréversible… Après ‘restauration esthétique’, tout un réseau de petites complications privées de sens s’est substitué à la belle et fine complexité de la Forme picturale (image de l’exemplarité naturelle).

Le réalisme du métier de Courbet, c’est-à-dire sa spontanéité en plusieurs couches pleinement unies par des retouches multiples, a été impacté. Que reste-t-il des jus de finition (patines ou brunissement) réalisés au moyen de vernis colorés, et des «glacis» qui forcément ici parachevaient l’œuvre ?

D’abord «décrassés», allégés à divers degrés (avec modération ?), puis ‘régulièrement’ purifiés au final, ils ont été en fait décapés par un dévernissage intégral. – Pourquoi ?

On aura beau dire et répéter que «jamais le restaurateur n’atteint la couche picturale elle-même», c’est d’évidence le contraire qui éclate = l’aveuglement des praticiens a fait disparaître des nuances manifestement de la dernière main du peintre – celle-ci œuvrant toujours dans une perspective synthétique, d’agencement d’équilibres dans le champ complexe de l’harmonie et de la présence… où une chose Vue vaut mille choses expliquées…

Donc manipulation, altération et dénaturation formelles perpétrées sur Le tableau fondamental du M’O !

Voyons maintenant le résultat d’ensemble après restauration. Mauvaise ou bonne la question de la subjectivité est ici à dépasser.

Ce n’est évidemment pas un problème de ressenti lorsque la propagande va jusque dans la presse généraliste ou financière (Les Echos du 24 févr. 2017) et vient nous faire savoir : «Au terme d'un chantier mené depuis septembre2014 par l'institution et le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Pour la première fois, il a été décidé que cette opération se déroulerait devant les visiteurs du musée, dans un souci de pédagogie, mais aussi pour séduire d'autres mécènes (…)».

C’est oublier le précédent de 1989-1992 avec les Noces de Cana «restaurées en public» au musée du Louvre. Cette calamité fondamentale nous avait déjà informé sur…

à suivre…

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L’Atelier du peintre du M’O 4/4 - E

Suite des analyses visuelles ‘après restauration’ :

10) – E  Paysage emblématique

Retour au centre de la vaste composition de Courbet qui se présente, après restauration, comme une juxtaposition d’unités fragmentées… Intéressons-nous au paysage – un motif mal contrasté qui paraît en divorce formel avec l’ensemble de la peinture. Pourquoi Courbet aurait-il placé au centre du Chef-d’œuvre quelque chose de bien inférieur à un vrai tableau de paysage : une cavité, une image médiocre, inaboutie, dissociée du reste de la composition ?

Pourtant, force est de se souvenir que cette zone de mise en abîme, surprenante au cœur de cette vaste peinture, était loin d’être un lieu amorphe, auparavant.

Cette dégradation de la cohérence manifeste du grand Courbet semble bien être la rançon d’une démarche visant à dévoiler, là aussi, les supposés secrets de l’invisible en prétendant s’appuyer ici sur Delacroix, et « sur l’apport de l’écriture à la connaissance de la peinture ». – Observons :

Exemple type, après restauration : peut-être le fruit de cette volonté de mettre en évidence de « grandes découvertes… révélant de nombreux détails » ?

-Cet état est-il censé correspondre à l’image d’une peinture en cours d’élaboration ? Mais dans ce cas, l’aspect général laisse perplexe… même pour un tableau inachevé sur chevalet !

-Autre hypothèse : il se pourrait qu’on ait ici une illustration effective des thèses des promoteurs et des praticiens de cette opération, inspirées de leur lecture superficielle d’Eugène Delacroix.

-Nonobstant, une autre certitude se dégage à en juger selon les choix les plus audacieux des œuvres de Courbet, car remarquons que ce paysage présente après restauration un contraste ‘assez plat’ (couleurs et profondeur). Quel est l’intérêt de ‘révéler’ ici une gamme relativement simple et commune, pauvre… sinon âpre ?

Un seul coup d’œil rapide sur ce détail après restauration nous révèle que d’importantes nuances de construction spatiale y sont manquantes… A cet égard considérons la ligne de contact, sèche et sommaire, entre le ciel et la falaise, privée des jus colorés ou glacis nécessaires pour lier entre eux les divers éléments du paysage, mettre en évidence la beauté de la matière, de l’air et de l’espace ! Voilà donc qui laisse à désirer.

-L’idée absurde d’un retour à un ‘premier état’ se précise. Car en corrélation, le tableau est usé de-ci de-là, avec maintes raclures de peinture mises à nu. Or avant les restaurations, la touche de Courbet n’est jamais pauvre… Il y a donc destruction formelle. Maintenant l’image paraît monotone par manque de sensualité ; disons aussi qu’elle est bancale.

-Que de sécheresse, de mollesse, et d’étoupe pour un Gustave Courbet ! Le foncièrement pictural a été sacrifié : ce qui était achevé, abouti, a régressé vers l’incomplétude. Cette opération est la conséquence d’une mauvaise lecture du tableau, ainsi que nous allons le démontrer rationnellement.

Que reste-t-il de la composition des parties interdépendantes négociées par la dernière main du peintre ?

Retournons toutefois sur ce lieu d’une mise en abime – où la dénonciation d’une ambiguïté, d’une prétendue ‘faute’ paraît avoir guidé le choix de la Commission scientifique, se prolongeant dans les justifications officielles – parfaitement subjectives – qui laissent éclater leur parti-pris aveugle dans le dossier de presse… Car enfin, de cette ‘lisibilité-là’ que dire ?

Concrètement, tout se passe comme si la peinture avait dû faire allégeance à un discours – en l’occurrence, le fragment d’une citation de Delacroix mal comprise (cf. note 1). Et dès lors, picturalement, voici l’œuvre… oh ironie, devenue comme sans verbe ou presque, dépossédée des qualificatifs raffinés et subtils qui viennent spontanément à l’esprit devant une toile de Courbet.

Allons donc encore par voie sensible en l’observation de détails identiques (bien que différents optiquement en teinte sépia, puis en N&B-couleur, après restauration). Ils vont permettre de mieux scruter une part de cet autoportrait de Gustave Courbet ; lieu manifeste et ‘Réaliste’ du geste créateur sur fond de paysage ; démonstration sur une reculée d’Ornans plus ou moins imaginaire. Tentons d’en dégager quelques réalités objectives de dessin :

Avant restauration : suivons le bras en son contexte paysagé, formule incarnant l’élan créateur.

Ci-dessus, partons du bout du pinceau de Courbet, et remontons le long de ce pinceau, par une suite d’accents en ligne pointillée, jusqu’à la main ‘en bec de peintre’. La lumière y est naturellement placée sur les parties osseuses de l’index et du pouce, car cette peinture est encore gouvernée par le souci de donner à voir le sens des choses au moyen de modulations subtiles (Courbet est l’un des avant-derniers maîtres anciens). A cet effet, remarquons l’ombre portée du pinceau, fantomatique présence sur la manche de l’avant-bras du Peintre !

-Avant allégements des vernis, c’est une suite d’enchaînements formels et de contrastes simultanés qui paraissent se prolonger jusqu’à la saignée du bras ; ce jeu plastique propageant ses échos dans les profondeurs broussailleuses de la barbe, du front de Gustave Courbet, voire de son œil dessiné ‘à l’assyrienne’, en arcs successifs, élément mis en valeur par l’agencement des courbes du profil.

-Partons de la trajectoire au-dessus du bras. C’est un élan progressif et continu qui se prolonge en crêtes hautes avant la lisière où se dessine la forme d’une chaumière. Et dessous, à l’aplomb de la main un trait vertical descend jusqu’aux genoux ; il intrigue… Il donne une étrange puissance à la main, comme une sorte de pilier, de colonne ! (Courbet a travaillé avec les contraintes et les plis des lès de toile).

-Or assurément, le voici devenu un élément de construction plastique voulu au final par Courbet. Car il distrait de la liaison entre les lès de toile 2 et 3 (bien révélés par la radiographie) au niveau du couteau à palette et des cinq pinceaux.

-Soulignons aussi que l’œil du regardeur, orienté par le parallèle entre le pinceau tenu en main et le col strié, va enregistrer une corrélation entre les stries verticales, élément qui renforce l’élan horizontal de la barbe jusqu’à l’éclat de lumière (écho de la palette du Peintre). – Analogie avec le souffle exprimé par le créateur…

Ci-dessous, en partant d’observations identiques, que de platitudes ! Le pictural devient anecdotique et descriptif.

Après restauration, on observe parfaitement sur ce détail N&B coloré que les plis dessinés sur la manche n’ont plus le rythme et l’élan observés précédemment. Les accents de lumière sont répartis de manière chaotique comme dans la plus simpliste des BD… Là où Courbet, par son art, avait su recréer le mouvement de la vie, en une seule venue magnifique, on ne voit plus que trois ou quatre petites formes, réduites par le ‘nettoyage’ à l’état d’ilots plus ou moins bien agglutinés.

-Cf. ici le bras du peintre ‘plié’ (alors qu’il était tendu et à main levée). C’est là peut-être ce que les autorités actuelles du musée d’Orsay appellent lisibilité ?

Deux versions plus ou moins saturées du même détail, après restauration. Ce qu’on y constate, par exemple :

-Le bras de Courbet est en ‘tuyau de poêle fracturé’. Dans la volonté de rendre ‘lisible’ la poitrine, le bras est devenu assez plat… ne se rattachant plus vraiment à l’élan vital et à la tension du souffle créateur.

-L’emblématique « couteau à palette révélé par le nettoyage [qui] occupe une place centrale dans le tableau, comme un manifeste à propos de la technique de Courbet » (p.23 Dossier de presse) paraît en fait ridiculement cassé… par des lumières trop crûment révélées !

-Le moignon d’arbre sous la main est sans doute une première idée « de détail » que l’intelligence formelle de Courbet a su ensuite sacrifier au profit d’une notion bien plus intéressante et plastique… celle d’une présence verticale abstraite.

-Quant à la chaumière, dépouillée de son étonnant mystère de meule de foin, elle est désormais d’une grossièreté enfantine. Après restauration, elle se retrouve dans le même état de déconstruction que le pouce, le bras, le front, la tempe, etc. : fragmentée, réduite à un état d’inachèvement. Aspect que les peintres d’autrefois (Delacroix le premier) auraient nécessairement remarqué, et dont ils se seraient inévitablement moqués…

Assurément, cette peinture de Courbet ne tient plus d’une grande machine à la Eugène Delacroix. D’ailleurs, la provocation qu’était l’Atelier du peintre fut assez mal perçue et refusée des officiels... (à l’instar de La Ronde de nuit de Rembrandt !).

Toutefois, observons qu’en 1855, le jugement du maître romantique est empreint d’admiration – de fascination pour le métier – ce qui ne manque pas de noblesse à l’égard d’un cadet. Dans son Journal, il observe (‘faute’ ou pas) et informe sur son ressenti. Puis, son point de vue de Peintre et de regardeur devient plus prospectif encore (au 22 février 1860) ; c’est étonnamment visionnaire ! Avec sa faconde, Delacroix n’aurait pas manqué de critiquer encore, dans l’Atelier, ce tableau de paysage, si étrangement figuratif – au sein d’un plus vaste panorama encore jamais vu au monde (car relativement abstrait) – s’il avait eu la moindre réserve à son sujet. Mais au contraire, son regard paraît plus ouvert à l’expression innovante, si magistralement incarnée dans l’espace, « du retour à la nature » (…) d’un homme qui se donne pour inspiré ». Cette ‘faute’, en fait, lui paraît donc tracer une voie nouvelle… (celle de l’avenir, qui sera explorée par Manet, Degas et les Impressionnistes).

Dès lors, on ne comprend pas pourquoi le dossier de presse s’exprime en ces termes : « Par exemple, nous avons des témoignages révélant que durant l’Exposition universelle, en avril 1855, Courbet, qui exposait au Pavillon du Réalisme, est réintervenu sur son tableau ».

Mais dit-on ceci pour éviter de bien voir cela ? Pour émousser la nécessité de prendre toutes les mesures exigées par le respect, la conservation optimale de la Peinture ? A cet égard la visualisation des écarts par technique numérique comparative s’avèrera fort révélatrice. Détail plus large :

Avant restauration, G.Courbet est en train de peindre. La présence de jus plus ou moins dorés est un fait visible sur ce tableau même en N&B. Les jeux de cette ‘velature ancienne’ y sont formellement perceptibles et encore magnifiques…

En d’autres termes, un ‘voile’ ou ‘voilage modulé’ (assurément préservé jusqu’à aujourd’hui) crée des mélanges optiques, enrichissants, avec la couche précédente ; il atténue les contrastes secs de la première étape pour une mise en situation aérienne. C’est un travail de modulation savante, un réglage ultime, forcément de Courbet !

Avant restauration (à gauche), toute la gamme des tons de gris est en œuvre ; elle engendre toute une magie de nuances et participe à la mise en place d’un climat, caractéristique de l’art des anciens maîtres, où se déploient le vitalisme et le réalisme du maître d’Ornans !

Après restauration (à droite), voici le même détail, mais comme réduit à un effet immédiat plus sommaire, appauvri ; - pourquoi avoir ainsi anémié la couche picturale ?  Car à présent le ciel est certes plus clair, mais désaccordé et monotone.

-Que sont devenus par exemple les accents secrets de lumière dans le climat nuageux ou couvert, et surtout, l’air… le ciel voilé du Jura et cet effet de profondeur spécifique de la Loue (rivière de Franche-Comté) qui étaient auparavant suggérés entre les éléments proches et tangibles du premier plan, et le lointain peint en décor ? Ce qui fondait l’authentique réalisme de ce morceau de peinture a disparu.

La ‘restauration esthétique’ paraît avoir corrigé le génie de Courbet !  Le fameux tableau sur le chevalet a perdu en caractère, en spécificité après le deuxième ou troisième nettoyage (cf. billet du 22 janvier 2017, dossier de presse, p.17).

Par divers dosages et décalages de zones – l’ellipse de lumières qui se révélait pour le regardeur autour de la main du Peintre, comme un cycle –  complément à la volonté tendue et horizontale d’une recherche/découverte de la profondeur, a été diluée ;  la complexité originelle des nuées a été gommée.

Ces finesses incomparables, cette impalpable poésie se sont évanouies dans les cotons des restaurateurs… Pourquoi ?

Voilà la réponse très docte du dossier de presse, en p.17 : « La restauration du support a permis de prendre conscience que l’allégement du vernis n’était pas suffisant pour rendre la bonne lisibilité à l’œuvre ».

Or c’est déjà reconnaître implicitement que :

a) -ni l’espace de travail sans possibilité de recul dans la cage vitrée, ni la qualité globale d’éclairement ne rendaient possible un allègement homogène (cf. billet 1/4, 8 nov. 2016) ;

b) -toutes les démonstrations de tests et de fractions en journées de travail ne permettaient pas de prendre conscience du fait plastique harmonique en son ensemble ;

c) -le concept de lisibilité est tellement chevillé dans les habitudes interventionnistes (cf. annexe billet 1/4, PV 5 déc.89) que l’éthique de l’allègement à la française paraît obsolète dans la mesure où l’on ne se contente plus de ne pas dévernir à fond la peinture.

Observons donc maintenant le résultat d’une visualisation des écarts par technique numérique comparative :

Ci-dessus, avant restauration, image-détail de référence. Rappel : le climat général du paysage permet à toutes les possibilités harmoniques d’interactions visuelles de se déployer, et donne toute liberté d’imaginer à partir du visible : la notion de mystère issu de l’obscur est une des spécificités de l’art de Gustave Courbet.

En haut à gauche, les surfaces jaunes mettent en évidence de nettes déperditions dans les tons moyens qui fondaient la modulation du ciel. Différences chiffrées à 10,06% de la surface du carré. On y perçoit déjà qu’une distribution, comme en colonnes, depuis le bord de la toile, à gauche, jusqu’au tronc du chêne, a été retirée.

En haut à droite, les différences sont de 59,42% en jaune modulé/couplé de noirs confirment le fait d’une volonté vertical (celle d’un jus de dernière main d’un vrai peintre !) ; les algorithmes établissent ceci au sein d’une transparence accrue entre les états avant/après ; ils indiquent les zones érodées par l’allègement inégal et les usures importantes de la partie haute de la composition en restauration. Le ciel est bien plus qu’un balayage horizontal élémentaire. Donc le soi-disant « brunissement créé par les vernis »(dossier de presse p.17) était en réalité, le fruit d’une élaboration fort savante et spatiale des arrières-plans de lumière.

-Au-dessous, après restauration : le climat général est appauvri, conforme au préjugé dicté par une lecture réductionniste du propos d’Eugène Delacroix…

Le comparatif numérique a montré que le vernis originel était à respecter puisque optiquement complexe et divers en tons : il faisait partie intégrante de ce Chef-d’œuvre, était un élément essentiel de cet authentique morceau de peinture. C’est donc une contre-vérité manifeste de soutenir que : « la restauration a aussi permis de restituer l’effet de ‘vrai ciel au milieu du tableau’ signalé par Eugène Delacroix »[sic].

Que ce soit dans les salles Mollien du Louvre ou, plus tard, au musée d’Orsay, avant que ce tableau soit restauré, comment ne pas se souvenir de l’effet toujours étonnant que produisait sur nous, artistes plasticiens (cf. courrier à Mme I. P-F – C2RMF, le 17 mai 2015 p.2), cette prouesse « d’inventions » si difficile à maîtriser.

– Or une part merveilleuse de toute cette richesse a été sacrifiée sur l’autel de l’Evénementiel et de la ‘Restauration esthétique’ !

– Nous l’avons d’abord perçu dans la représentation de l’acte du Peintre, puis au cœur même de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet ; ce paysage emblématique pour la culture occidentale a constitué une leçon magistrale dans l’art de construire un équilibre et de sécréter un climat… Or il s’avère que ses métamorphoses récentes sont le résultat désastreux d’une ‘restauration esthétique’ abusive puisque c’est l’ouvrage même de la dernière main du Maître qui a été touché, détérioré. La qualité harmonique et historique du Chef-d’œuvre paraît dès lors appauvrie et dévaluée en ce paysage

Une chose vue vaut mille choses expliquées, dit un proverbe… Regard sur ce témoignage optique : voyons comment certains parti-pris de Gustave Courbet vont pouvoir se ressentir – par analogie – sur cette photo captée non loin des sources de la Loue. Observons-en les principes spatiaux de l’élan vertical ; des leçons de lumières, de matières et d’air s’y retrouvent… Peut-être fournies pour l’imaginaire ?

à suivre…

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L’Atelier du peintre du M’O 4/4 - D

Suite des analyses visuelles ‘après restauration’ :

10) – D  Portraits des Sabatier

Le dossier de presse l’affirme : « Des détails sont de nouveau visibles. Un émerveillement pour les spécialistes. »[sic] Intéressons-nous donc maintenant au couple d’amateurs visitant L’Atelier (les Sabatier).

En haut, en couleur sépia, détail avant restauration où le fini paraît impeccable. Examinons les variations d’état du même détail à travers les quatre images ci-dessus :

En haut à gauche, c’est après restauration. Que s’est-il passé ?  Des repentirs apparaissent. Or ils sont manifestement les traces d’une recherche première de mise en place idéale, par le peintre, des têtes de ces deux amateurs d’art célèbres à l’époque, et dont il fallait donc soigner la représentation. – On s’interroge !  Car voici la femme soudain dotée d’un double menton, et l’homme d’un double front… La mise au jour de ces repentirs, visibles avec un minimum d’attention (même non experte), produit un effet ridicule. C’est la trahison du sens et de la beauté de l’ouvrage de Courbet, au principe d’un chèque en blanc laissé aux cotons imbibés de dissolvants…

En haut à droite, il se trouve aussi qu’après restauration, le différentiel selon un système de comparaison d’images démontre un état d’usure inégal des surfaces ;  effet symptomatique révélé ici par les plages claires et les plages jaunes sur fond opaque.

En bas à gauche, ce visuel en couleurs de contraste confirme aussi les usures révélées après restauration. Elles se chiffrent à 24,50% de purification absurde.

En bas à droite, retour à la vision harmonique sur l’état de beauté et de clarté spatiale d’avant restauration.

  Allez comprendre pourquoi la rhétorique actuelle veut qu’à chaque fois qu’apparaissent des usures causées par l’interventionnisme  – allant au-delà de ce qui était initialement prévu dans l’idée d’un allègement modéré –  on entende toujours la même rengaine : ce n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre… ce ne sont que « des usures enfin révélées d’autres restaurations (abusives) débordant sur l’original ». Et dans le cas de réapparition de repentirs, voici les explications fournies : « Ces repentirs (de Courbet) auront des conséquences sur les temps de séchage en entraînant un vieillissement naturel de la surface qui se manifeste par des zones de transparence accrues. Ces transparences font partie intégrante de l’œuvre, c’est pourquoi il a été décidé de les laisser visibles. » Dossier de presse (p.6).

  Le problème de zones de transparence accrues à coup de ‘restauration’ est aussi un fait d’aujourd’hui. Car en vérité, qui oserait dénoncer l’effet pervers de références abusives aux Rayons X :  la manie, à prétexte scientifique, de plus ou moins mettre au jour ici les sous-couches  – quel que soit leur intérêt et leur signification –  plutôt que de respecter le travail accompli au final par l’artiste ?

En ce ‘détail’ ci-dessus observé, à quoi bon retrouver les couleurs brun-rouge du châle sur l’épaule droite de Madame Sabatier, si savamment peint dans la même puissance lumineuse que ‘les noirs’ de la robe… si c’est pour faire apparaître des complications inesthétiques qui font penser à présent à des auréoles de nettoyage autour des têtes ?

– Cette prétention archéologique aux « transparences accrues » à des fins de révélations soi-disant inouïes dans l’Atelier du peintre… participe en fait d’une stupidité savante. Sur ces portraits des Sabatier, la clarté de composition à la française, inspirée par une réalité du monde sensible, s’en trouve fâcheusement perturbée…

Retour au centre de la vaste composition de Courbet qui se présente, après restauration, comme une juxtaposition d’unités fragmentées… Intéressons-nous au paysage – un motif mal contrasté qui paraît en divorce formel avec l’ensemble de la peinture. Pourquoi Courbet aurait-il placé au centre du Chef-d’œuvre quelque chose de bien inférieur à un vrai tableau de paysage :  une cavité, une image médiocre, inaboutie, dissociée du reste de la composition ?

 à suivre…

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L’Atelier du peintre du M’O 4/4 - B&C

Suite des analyses visuelles ‘après restauration’ :

10) – B Le grand châle

Prenons à présent un autre et plus vaste détail, peut-être assez significatif des transformations subies par l’œuvre dans son ensemble; nous comparerons les états ’avant et après restauration’ par zones successives en corrélation:

A gauche: ce visuel en ‘sépia révélateur’ met en évidence la magistrale mise en espace par Courbet de la beauté mystérieuse de deux natures de couple. Pour la composition chromatique, deux niveaux de complexité de dessin se répondent en écho spatial. D’abord scrutons la broderie décorative du châle de la femme élégante au premier plan (portrait présumé de Mme Sabatier); puis nous analyserons celle de la simplicité florale de la jeunesse amoureuse…

A droite, mise en évidence des deux surfaces analysées ci-dessous:

En haut à gauche, état N&B avant restauration: morceau de peinture des plus superbe! Plus qu’un jeu de couleurs ou une simple broderie, cette composition est l’introduction à ceux «qui vivent de la vie»; à partir du motif végétal en corne d’abondance une brassée florale bleue s’épanouit en spirale, tandis que le pli ascendant du châle se resserre au sommet.

En haut à droite, après restauration: l’état actuel N&B fait de l’effet car les noirs sont plus puissants; mais on s’aperçoit très vite d’une déstructuration qui fragmente la continuité décorative des motifs. Paradoxalement, l’ensemble du rabat en triangle paraît plus plat.

Au centre, ci-dessus, résultat de la restauration, l’image différentielle numérique établit en jaune, les tons clairs manquants. Ce qui correspond à 5,37% du travail virtuose de Courbet, perdu en ce carré. Sur la peinture, le dessin des bleu-gris, bleu-canard et jaune d’or a été usé. Si nous faisions ce calcul pour chaque couleur en CMJN, gageons que nous mettrions en évidence des manques plus importants encore !...

 L’examen de cette splendide composition colorée du couple de collectionneurs visitant l’Atelier – décrit par Courbet en ces termes: «une femme du monde avec son mari, habillée en grand luxe» – nous amène donc à conclure à une dévalorisation esthétique du grand châle !

10) – C Portrait de la jeunesse amoureuse

Examinons ensuite le jeune couple dit «couple libre». Morceau de peinture figurant deux amoureux, deux existences selon un contrepoint clair-obscur d’une extraordinaire unité (clair sur sombre et sombre sur clair); c’est la représentation ineffable d’un mouvement d’attraction entre deux êtres:

Le voici en ‘sépia révélateur’: «Dans l’embrasure d’une fenêtre, deux amoureux qui disent des mots d’amour» écrit G.Courbet; extraordinaire figuration emblématique de l’inclinaison de la jeune femme en robe claire (bleutée), forme légère, vaporeuse, captée ou révélée par l’insistance douce et enveloppante du jeune homme.

Donner vie et chair, par la peinture, à des mots d’amour en focalisant l’attention sur le léger glissement du bracelet au poignet… depuis le creux du bras jusqu’à une main droite, immense… ‘petites notes de pinceau’ dans une zone d’interface aérée. Pour manifester un tel sens des qualités spatiales, il faut assurément le métier d’un Courbet, son art des vérités suggestives. Comment les concepts grossiers de «lisibilité» ou de «visibilité»seraient-ils ici pertinents?

En haut, ou en bas à gauche, état N&B avant restauration, morceau magistral. Cette image de la fusion amoureuse va au-delà des mots… Observons comment le peintre évoque le mystère et la complémentarité de ces deux êtres. Regardons. L’inclinaison de la nuque de la jeune fille est moelleuse et souple (‘contact gras’, dirait-on); le col clair, l’accent du pli de la manche, ou même celui sur la poitrine, etc., y sont plus que définis. Tels, ils orientent l’attention sur ce tout petit vide entre les amants qui se rapprochent; mais aussi sur l’art d’une découpe en contrejour, un exemple de ‘flou artistique’. De tradition d’atelier – il peut avoir marqué Degas, Manet, les Impressionnistes, puis Seurat, et même bien au-delà!

En bas à droite, N&B après restauration, état qui paraît être une ébauche – moment où les parties principales d’un sujet sont ‘simplement indiquées’ avant sa réalisation finale. On croirait voir ici l’état de première élaboration formelle de cette œuvre! Par exemple, observons le trait de pinceau qui dessine la nuque ployée ou fixe sommairement la place de l’œil. Presque tout y est sec et raide: les regards creusés, excavés; les visages incorrects; et l’épaule du jeune homme semble étonnamment scindée… Assurément, la stupidité de cet état bancal aurait été la risée des contemporains de Courbet!

Deux images résultant des algorithmes d’un différentiel automatique;en haut, en jaune, mise en évidence des pertes de glacis et vernis, jus coloré et vernis, par-delà un décrassage justifié.

En bas, le climat général ayant été gommé, apparaît ici le renforcement des tons foncés, en contraste. En ce carré, ces différences objectivées en fausses couleurs correspondent à un écart à 61,77% entre les états N&B, vus précédemment.

De telles différences de construction formelle constituent une des résultantes de la ‘restauration esthétique’; elles peuvent être formulées en pourcentage par un système numérique expert. Le dossier de presse préalable (en p. 8) évoque des «restaurations anciennes [qui] se sont altérées au cours du temps comme sur le visage de Juliette Courbet». Comment pouvoir en juger? En l’absence de précisions objectives et complètes à ce sujet, force est de reconnaître que parmi les éléments effacés par la restauration figurent les traces d’un travail manifestement si créatif qu’il ne pouvait être que celui de la dernière main de Gustave Courbet. Or aujourd’hui cette conception visuelle d’ensemble vient d’être irrémédiablement perdue sous prétexte de corriger des ‘altérations’ et de rétablir une ‘lisibilité’…

Etat après restauration, détail plus vaste –visuel réglé dans la salle du musée. Virtuellement, l’éclairagiste paraît y avoir reconstitué une sorte de vélature, un mélange optique doux et chaud? Or, cet artifice de température (couleur-lumière), malgré l’enchantement recherché, ne peut nous empêcher de constater une dépréciation inappropriée de la forme plastique. Par exemple, il est facilement observable que la robe de la jeune fille (Juliette Courbet) paraît dorénavant être lourde et tachée… –bonne pour une visite chez le teinturier!

– Si on accorde crédit aux mauvaises quadrichromies récentes, sur la joue de Juliette un repeint pouvait se discerner (signe d’une joue rougissante ?). Or, avec cette opération nouvelle, c’est l’ensemble de ce portrait de la jeunesse amoureuse dans l’Atelier qui a beaucoup perdu de son jeu énigmatique dans l’espace et de sa singularité picturale ;  il a subi une nette dépréciation de sa présence mystérieuse…

Le dossier de presse l’affirme: «Des détails sont de nouveau visibles. Un émerveillement pour les spécialistes.»[sic] Intéressons-nous donc maintenant au couple d’amateurs visitant L’Atelier du peintre (les Sabatier).

– à suivre…

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L’Atelier du peintre du M’O 4/4

« Adieu monsieur Courbet ! »

Originellement déjà la démarche était stupéfiante. A-t-on assez dit et répété les prétextes de cette restauration :

- Il s’agissait de « percer les mystères du tableau »

- Il fallait retrouver la « lisibilité » du Chef-d'œuvre et en corriger les « altérations »

- Ce tableau, en l’état, était « difficilement compréhensible pour le public ».

Et pour en faciliter la « compréhension immédiate », la restauration allait enfin dissiper les ténèbres…

Concrètement, avec cette « Restauration en public », il est devenu nécessaire d’expliciter une trahison avérée de la notion muséale de primauté du fait pictural… Malgré une bonne volonté affichée, il pouvait apparaître qu’aucune raison pleinement conservatoire ne justifiait la restauration du grand Courbet.

Et rappelons dans quelles conditions déplorables fut effectué ce travail :

- mauvais éclairage ;

- pas de possibilité de recul… ou de regard d’ensemble (élémentaire en artisanat véritable), après les premiers résultats d’allégement sur les vernis récents surajoutés au Louvre (en 1984, 85 et 86).  « Décrassage » puis allègement modéré qui furent immédiatement suivis « d’un allégement prononcé » ; parlons plutôt d’un décapage… opération menée hors public, en local technique, (entre mai 2015 et avril 2016 ?) ;

- d’emblée non-respect de l’œuvre de Courbet, dans son authenticité visuelle, trahie par l’aspect « charbonné » ou « jauni », car officialisé par de mauvaises reproductions, etc.

Comme premier signe de cette politique, une autre restauration fit l’objet de l’affiche de l’exposition Gustave Courbet de 2007-2008 au Grand Palais. C’est un autoportrait du peintre, Le Désespéré ; tableau dans la tradition des têtes d’expression, voire dans l’atmosphère des fous, ou Monomanes de Géricault. Or cette métamorphose anachronique a-t-elle soulevé quelques réprobations de ‘spécialistes’ ou d‘experts’ ?  Comment le savoir ?

– Si l’on connait qu’une certaine lumière projette son ombre logique en corrélation, on observe ici que le jeu d’interdépendance est juste dans le carré N&B de notre montage en-haut, mais globalement faux dans le N&B, détail carré en bas (état clair-obscur du visage après restauration). Nous voyons en bas à gauche, à la suite de cette restauration esthétique circonstanciée… que le différentiel visuel en technique numérique comparative révèle des soustractions effectives assez proches de l’effet d’une ‘image solarisée’.

– Avec ce précédent dans le travestissement d’une peinture originale phare,  nous pouvions nourrir les craintes les plus vives à propos des ‘restauration esthétique’ des Courbet ;  surtout si l’idéologie des « révélations » s’effectue au détriment des reprises et repeints autographes.

Ce rappel des conditions d’exécution de la ‘restauration esthétique’ des Courbet est révélateur. Dans les billets précédents, c’est donc la mort dans l’âme qu’il m’a fallu nettement souligner  – preuves visuelles à l’appui –  que les critères de mise en œuvre de l’opération « à gros budget » du M’O (avec une enveloppe générale de 600 000€) étaient dévalorisants, ou même pire, pour la peinture dont elle était censée assurer la sauvegarde, et que devant une telle confluence d’arguments douteux ou de diagnostics mal posés, aucune place n’était laissée à l’exercice de l’esprit critique individuel.

L’Atelier du peintre, après restauration, est-il encore le tableau finalisé par Gustave Courbet ?  On peut en douter.

Toutefois, à la lumière des bougies du trentième anniversaire du musée d’Orsay, dans la rhétorique spectaculaire de la communication institutionnelle, et surtout, à travers le mirage élaboré par le savoir-faire des éclairagistes  – c’est la grande illusion !  « Verra qui pourra » écrivait Courbet. Bien malin qui pourra ouvrir les yeux sur la réalité du désastre ?

Trois détails du grand Courbet montrant l’ensemble des personnages. Les deux images du dessous sont des éléments officiels du dossier de presse après restauration (capture d’écran de l’élément internet de Fr3» cf. liens). Ces illustrations paraissent induire qu’enfin « L’Atelier sort de l’ombre ». Sommes-nous dans l’approximation ou carrément le mensonge ?  Si l’on compare avec l’image du dessus  – représentation du même détail avant intervention –, et que l’on considère sa tonalité radieuse et dorée, alors il apparaît nettement que le résultat du travail de restauration est tout le contraire d’un gain de clarté et de ‘lisibilité’.

Nous observerons alors en nuances que c’est une déconstruction de la forme qui vient d’avoir lieu. Ce qui fondait toute l’originalité qualitative et spatiale de cette peinture nous a été comme dérobé.  Il se pourrait que cet appauvrissement soit la conséquence des tendances actuelles de l’« histoire de l’art », devenue dogmatique, théorique et coupée du contact avec la Réalité des arts plastiques, et finissant par opérer en cet exemple parmi d’autres… au détriment de la Peinture elle-même.

D’où une nécessaire réflexion sur les mutations (ou déviations) spectaculaires qu’engendre notre ‘société du spectacle’, et sur la consécration de demi-vérités toxiques en lieu et place de l’authenticité (pourtant revendiquée par les musées) ; aboutissement inquiétant d’un travestissement des valeurs de l’Art ?

9Contemplation des œuvres ou exploitation du gisement culturel

« L’œuvre qui doit elle-même descendre de sa cimaise, se farder à la mode, se rendre attractive, faire le mariolle devant le spectateur immobile et inactif (la télévision est passée par là) se perdra. L’astre qui tombe du ciel arrive sur la terre comme un commun rocher. »  écrivait Raymond Mason, sculpteur-peintre, (cf. rétrospective au Centre Georges Pompidou, 1985).

« Nos métiers nous permettent de pouvoir dépasser la contemplation, de s’intéresser à la matérialité, d’observer les touches, la matière ». (11 :33) I.K., in : Orsay, chronique d’un musée (cf. vidéo).

Une telle formule nie les fondements même de cette discipline de la philosophie qu’est l’esthétique. Exaltées par « la Beauté faite exprès », les facultés de contemplation et d’émerveillement ont partie liée à l’idée de grandeur humaine. Il ne m’appartient pas de disserter sur ces questions capitales, mais il importe de souligner que l’opération pratiquée sur l’une des traces sensibles du « Qui sommes-nous ? » interroge sur le « Où allons-nous ? » d’aujourd’hui.

En l’occurrence, comment soutenir « pouvoir dépasser la contemplation » ?  Celle-ci  – approche à la fois émotionnelle, intellectuelle et intuitive de la réalité, élevant le contemplateur au-dessus du pur et simple raisonnement –  est une dimension essentielle du rapport avec l’œuvre d’art, et s’appuie justement sur la matérialité même de l’œuvre, perçue et comprise en profondeur dans ses plus subtiles expressions. Prétendre vouloir « dépasser » la contemplation, c’est prendre le risque de transformer le regard en un simple instrument de dissection, et remplacer l’indispensable point de vue synthétique par une vision analytique réductrice.

A cet égard le dossier de presse matérialise une manœuvre : fonder un consensus visant à formater l’opinion publique.

Les promoteurs de l’opération y sont en situation de pouvoir sur la peinture et sur son image. Dès la consultation du dossier de presse actuel (en p. 3), la confrontation des clichés de l’ensemble du tableau avant et après restauration n’a de juste que le cartel de l’œuvre  – bien au centre de la feuille !

Assurément cette imprégnation sensible est marquante. Voire ici, stratégiquement utile… Mais qui s’insurgera et dénoncera la fausseté de ces images, qui ne respectent pas la plus élémentaire honnêteté en matière d’art, la nécessité d’aller au plus près de l’original ?

Copie d’écran du dossier de presse p. 3 « Sachez que ce type d’informations est consultable sur le site du musée à usage de la presse »[sic]. Malheureusement, non encore en ligne sur le site du M’O pour le citoyen ayant le désir d’être informé.

Dans le billet précédent, nous avons mis en évidence, de manière concluante, certains manques de conformité des visuels officiellement proposés pour la promotion du projet ou à diverses étapes de la restauration. Venons-en au socle actuel de « la politique dynamique de conservation préventive et de restauration des œuvres d’art et sous l’impulsion du service mécénat… ».

Là également, on nous dissimule la réalité puisque tout repose sur trois degrés de compétences :

a) -les examens préalables du C2RMF

Bien que nos sociétés soient en principe libérées de l’obscurantisme, les examens préalables au travail de restauration ont été menés dans une ambiance de fascination générale et idéologique devant le ‘scientifique’ ou prétendu tel.

Dans le domaine de l’Art, aujourd’hui l’intimidation vaut loi. Et en matière de communication, il suffit d’évoquer avec autorité, par exemple, la numérisation d’une radio en rayons X, les artifices les plus sophistiqués de mise en évidence en réflectographie, ou les analyses de matériaux prélevés pour faire oublier l’élémentaire, et même escamoter le fondamental à propos du grand Courbet. C’est une peinture conçue pour l’outil le plus performant, le plus évolué et le mieux adapté qui soit pour l’homme :  l’œil… plus le cerveau, la Culture, et la lumière naturelle (ou ses équivalences).

Par là même, voici en grande partie pourquoi – de façon abstraite et intellectuelle – les dossiers de presse évoquent avec insistance des examens emblématiques conduits par le C2RMF en collaboration avec des restaurateurs, et destinés à nous imposer leur point de vue.

Dès lors, pour le journaliste pressé et les médias télévisuels (France-info, Fr3, etc.), il va de soi qu’il convient de faire confiance

Car qui oserait en demander davantage ? A quoi bon refaire les analyses à partir des mêmes sources, si nous sommes en ‘science’ ? Comment remettre en cause ces examens, si, procédant de fortes compétences conjointes, ils sont le résultat de « plusieurs mois d’étude, de collecte de données scientifiques et d’analyses » [sic] ? Mais ne serait-il pas plus juste et responsable en l’occurrence de parler de ‘données techniques’ plutôt que « scientifiques » ?

Or il peut aussi arriver qu’instruit du caractère éminemment empirique de la création artistique – cette pratique indissociable d’une constante remise en cause –, l’artiste « visuel » veuille contrôler le caractère réellement scientifique de semblables dossiers de « restaurations ».  – Et L’Atelier du peintre n’est pas n’importe quel tableau !

Tout citoyen, plus ou moins en communion de sensibilité ou de valeurs émotionnelles avec Courbet,  peintre qui de tradition d’atelier « étonne et ne se laisse plier à aucune des catégories françaises », doit pouvoir examiner le fond concret des choses. C’est-à-dire, percevoir sur quels principes reposent les prérogatives du C2RMF fort de ses prétentions à détenir le monopole de toute parole authentique et d’approche de l’Art pictural ;  voire même d’induire à des idées nouvelles sur l’œuvre de Gustave Courbet… Or voici l’étonnant spectacle de transparence qui lui est offert :

En haut :  poste de travail du C2RMF au Louvre, mis à la disposition du chercheur pour la consultation des dossiers numérisés. Le logiciel de recherche est fort mal conçu : d’une part, il ne permet pas de voir l’ensemble du tableau sans que les outils de navigation n’en occultent une partie ; ensuite, pour l’intellection des formes, le repérage visuel est difficile, chronophage et non ergonomique… – Allez comprendre pourquoi les données d’échelle et de taille du fichier s’affichent en pixels si lourdement sur l’écran, alors que les ektachromes source y paraissent sans charte d’échelle de gris et de couleurs ;  ceci ne permet pas de pouvoir juger de la qualité d’interprétation relative de l’apparence… – Est-ce pour compliquer le rapport à l’imagerie numérique, ou carrément en dissuader le chercheur ?

En bas :  poste de travail du C2RMF à Versailles. Dans l’ensemble des dossiers consultés, c’est la part belle accordée aux éléments écrits (que l’on se doit de retranscrire ou vérifier peut-être ?). Quant aux témoignages visuels, ils s’affichent à l’écran selon une apparence aussi fallacieuse que sur la plus triviale borne de consultation internet… Ainsi que ces documents en font foi  (le 11 mars et 15 déc. 2015), les visualisations du Portrait du Roi François 1er sur écran bien réglé, à gauche avant restauration, au centre après restauration, et à droite même cliché après restauration sur l’écran du C2RMF laissent plus que perplexe… Comment se fait-il que dans des lieux si prestigieux, théâtres de tels enjeux patrimoniaux, aucune des images proposées sur les écrans de consultation, ne soient objectivement justes ou équivalentes (cf. pour le Portrait de François 1er) à l’aspect de l’original de Jean Clouet exposé au Louvre ?

Or sur de tels écrans, au C2RMF, toute étude un peu fine transforme l’œuvre visionnée en source fantomatique de complications et de vertiges… Y consulter les fameuses : ‘images numériques en infrarouge niveau de gris’; ‘images numériques en lumière infrarouge traitement en fausses couleurs’; image numérique ‘sous fluorescence d’ultraviolet’, etc., ne peut être hélas que très sommaire !

Vous désirez alors consulter les sources papier afin de vous faire une opinion authentiquement fondée. Car il s’agit de comprendre le pourquoi et le comment d’une intervention officielle sur un héritage collectif… Et l’on vous répond (si on daigne vous répondre !) que le dossier n’est pas disponible puisque traité au M’O où le tableau est en cours (cf. annexes du 2/4 & fin du 4/4). Car a-t-on seulement le bon sens de se rappeler que les photos peuvent exister en plusieurs exemplaires… et que les photocopies sont un petit plus depuis Gutenberg ?

Mais non, la révolution numérique est passée par là… En d’autres termes, si vous revenez à la charge en tant que chercheur ou citoyen, il se peut que face à votre extrême insistance on finisse par vous communiquer par internet un dossier expurgé ou dans un codage si parfaitement hermétique et étranger au domaine de la courtoisie numérique que vous pouvez tout imaginer…

Puis on subit le choc d’une information tétanisante : plus de 300 peintures sont traitées chaque année en restauration par le département. Il va donc de soi que les innombrables « découvertes nouvelles », grâce auxquelles la restauration devient une œuvre en tant que telle, outillée par le ministère au C2RMF, puissent engendrer des objectifs de publication et des contraintes de premières exclusivités (avec copyright, etc.). Que reste-t-il alors, sous la pression de tous ces enjeux, de la mission fondamentale des conservateurs et restaurateurs : le respect de l’œuvre ?  – Et quel critique d’art ou journaliste spécialisé pourraient y voir clair dans cette entreprise où les tenants et aboutissants sont si complexes à démêler ?

Comme nous le voyons, il est infiniment plus facile de se contenter des éléments mis en avant par le Dossier de presse, de s’abriter derrière l’idée évidente d’une « Etude préalable » et de s’abandonner à la fascination pour l’analyse technique, la chronique insidieuse des « soulèvements récurrents ». Mais c’est attribuer aux ‘spécialistes’ une infaillibilité pontificale en matière de constat d’état pour le traitement des vernis. Notons au passage que le dossier inaugure un concept pour le moins étrange, celui des :  « vernis qui se sont superposés »[sic] récemment par génération spontanée (en surépaisseur sur le Courbet).

Aujourd’hui, pour la liberté intellectuelle du chercheur et de l’amateur d’art, ne serait-il pas plus juste et scientifique de demander déjà aux écrans, et non aux œuvres, de se conformer au dogme et à l’exigence de lisibilité ?

Car il se pourrait que s’intéresser à la matérialité, observer les touches, la matière d’un tableau [sic] et y faire des prélèvements pour les examiner au microscope soit aussi aberrant et vain que faire l’analyse chimique d’un Beaujolais nouveau – avec projection de résultats –  pour juger par exemple d’un grand cru Château Petrus.  C’est vouloir comprendre la Peinture sans une prise en compte de tous les phénomènes subtils et interactions formelles ou décoratives… voire des murissements ou patines complexes : incompréhensibles… qui fondent l’harmonie artistique pour le Goût humain.

b) -les instances collégiales d’un Comité scientifique

La réunion de seize membres d’un « comité scientifique » est un fait tout aussi intimidant. Mais quel regard portent-ils vraiment sur le grand Courbet ? Est-ce sa destinée scientifique d’être un astre descendu de sa cimaise pour se farder à la mode, se rendre attractif, faire le mariolle devant le spectateur immobile et inactif ? (cf. citation ci-dessus).

– Soyons aussi érudit !  Dans son Journal, Delacroix, autre grand ‘regardeur’, exprime son étonnement et son admiration pour l’Atelier en ces termes :  « Je vais voir l’exposition de Courbet (…). J’y reste seul près d’une heure et je découvre un Chef-d’œuvre dans son tableau refusé ;  je ne pouvais m’arracher de cette vue. Il y a des progrès énormes (…). Dans l’Atelier, les plans sont bien entendus, il y a de l’air et des parties d’une exécution considérable : les hanches, la cuisse du modèle nu et sa gorge ;  la femme du devant qui a un châle. »  (cf. 3 août 1855, Journal).

Ailleurs, Delacroix loue le travail du colosse d’Ornans pour ses qualités de « vigueur extraordinaire », « de saillie » et pour les « liens » harmonisant les différentes parties de l’œuvre. L’ayant longuement regardée, il est impressionné par l’énergie picturale qui s’en dégage, et qui est l’un des mystères d’une œuvre réellement aboutie.

Dès lors, pourquoi le dossier de presse tient-il tant, par exemple, à formuler une restriction devant l’un des choix les plus inouïs de l’œuvre ? Et souligner : La faute « est que le tableau qu’il peint fait amphibologie : il a l’air d’un vrai ciel au milieu du tableau » ? (cf. p.4 dossier de presse).  –           Là même où Delacroix va percevoir, cinq ans plus tard, une extraordinaire percée :  le signe premier d’un retour à la nature « proclamé par un homme inspiré ». Il relève que « le Réalisme est la grande ressource des novateurs dans les temps où les écoles alanguies et tournant à la manière, pour réveiller les goûts blasés du public, en sont venues à tourner dans le cercle même des inventions… » (Paris, 22 février 1860).

Or voici que l’attribution d’une autorité excessive à des propos d’historien d’art, à partir d’une citation incomplète sur la ‘faute’, a ouvert la voie à la restauration outrancière « d’un vrai ciel au milieu du tableau » et à de malheureux abus « l’espace retrouvé : La restauration a aussi permis de restituer l’effet » (p. 20 du dossier de presse).

Intellectuellement, dans ce cas comme dans d’autres, il serait profitable de savoir comment le débat, s’il y a eu débat, s’est déroulé ?

La consultation des comptes rendus du Comité scientifique pourrait permettre de comprendre la nature des échanges et les arguments de décision qui menèrent à cette conclusion : « En améliorant la lisibilité du tableau altérée par les couches de vernis superposés, jaunis et chancis, les repeints, les jus colorés et la crasse, en respectant l’histoire complexe de l’œuvre et dans le but de retrouver l’harmonie générale de la composition ».

Ce désir obsessionnel de lisibilité n’est-il pas à mettre en balance avec les risques matériels et esthétiques qu’il implique ? Le jaune, le doré, les jus colorés et la patine font corps avec l’œuvre originale…

Mais il se trouve que depuis le compte-rendu du 5 déc.1989 (annexe billet 1/4, 8 nov. 2016) concernant la restauration en public des Noces de Cana, les consultations de dossiers d’œuvres ne donnent accès qu’aux synthèses des décisions des commissions sur les fiches d’état. Et les rapports des restaurateurs ne permettent pas d’en savoir d’avantage, là même où grâce au verbatim, on pourrait lever l’équivoque sur le principe bien commode d’autorité.

A cet égard il est tout à fait intéressant de prendre conscience que la liste des membres du comité souligne leur fonction officielle et suggère qu’ils ont une formation intellectuelle analogue. Ils sont donc Un : ‘Juge et Partie’ (avec devoir de réserve?).

Aucune personnalité issue d’un autre horizon de pensée, choisie pour son expérience muséale ou son expertise artistique, ne figure dans ce Comité. A l’exception des deux restaurateurs (se substituant peut-être aux représentants d’une compétence absente, celle du regard plastique ?), leur mode de rapport à l’Art visuel repose essentiellement sur l’écrit, le catalogue, la mise en exposition et le sacré « scientifique » d’un cartel.

Et devant l’approche totale du discours sur l’image picturale…  – rions un peu :

On peut y lire et relire !… lieu d’information érudite. « Pièce majeure » a remplacé Chef-d’œuvre. Même ainsi, la ‘lisibilité’ ne peut en être troublée…

c) -sur la part communiquée pour l’adhésion publique

D’abord, que de tests de décrassage et d’allègement des vernis pour en arriver à ça !  Après une intervention esthétique pour « retirer le vernis le plus récent » – ce qui pouvait suffire selon la tradition française et son éthique –, un deuxième passage s’est avéré, paraît-il, nécessaire pour ‘amincir’ « les vernis sous-jacents ».

Puis, non contents du résultat obtenu, après avoir largement touché aux jus colorés (du grand Courbet ?), les restaurateurs et le Comité scientifique ont jugé opportun d’y revenir encore. – Mais pourquoi cet interventionnisme toujours plus poussé que celui initialement prévu ?

Est-ce pour satisfaire la conservation, le public actuel, ou même aller dans le sens de la spectacularisation exigée par le besoin de retour sur investissement ?  Car ensuite que d’efforts pour ne pas laisser supposer que… l’enfant a été jeté avec l’eau du bain :

Copie d’écran du dossier de presse p. 3 ; que d’équipements pour préserver l’opérateur alors que la peinture originale de Courbet est exposée aux solvants !  Assurément ‘de tous petits rien et des je ne sais quoi’ seront atteints. Et l’on prétendra, la bouche en cœur, avoir ‘révélé des usures préexistantes…’!  Dans le meilleur des cas, nous dit-on, « le brunissement créé par les vernis a pu être limité » – Comment vérifier cette assertion ? Par les photographies témoins entre intérieur et extérieur du champ opératoire délimité en pointillé orange ? – Et que vient faire, aux côtés du titre « Phase 3 – Couche picturale » le visuel de promotion innovant ? (ici présenté de façon subliminale telle une publicité pour tablette internet ?).

Mais de quelle rigueur scientifique ce type d’images d’art peut-il se prévaloir ? Alors qu’il y faudrait les meilleures photographies !...

A l’extérieur, les surfaces témoins avant traitement sont éclairées de façon si peu professionnelle que des reflets inégaux rendent impossible tout jugement objectif. Il n’y a donc pas ici d’exigence sur cette part de l’irrémédiable du grand Courbet ?

Et aucune information de contexte ne permet de comprendre si le détail de la peinture provient d’un geste créatif horizontal ou vertical ;  ce qui aurait donné la possibilité de juger si, au contact du champ délimité, des manques étaient perceptibles… Le détail végétal est-il un branche haute, basse, et pourquoi pas une algue, si on laisse courir l’imagination sur ce document mal contextualisé ?

N’allons pas plus loin dans le prospect et voyons un autre élément de propagande, car on ne peut réduire les jeux subtils de l’harmonie esthétique à une mise en évidence binaire de rectangles ‘propres’ dans une surface ‘sale’ et luisante :

Ci-dessus, copie d’écran du dossier de presse, p. 23 : Pourquoi nous inflige-t-on, entre états « Avant restauration » et « Après restauration », des cadrages aussi dissemblables et des degrés d’exposition, de saturation et même de netteté fallacieux ?  Or la désignation « état après restauration » n’est même pas exacte, puisque la découverte de la pipe de Baudelaire est escamotée…  (partie refermée après expérience !) ; ainsi que le bas de la robe après « réintégration »[sic] n’a plus cet accroc carré barbare de test « d’allégement ». Car que de volontarisme archéologique dans cette opération… – Et est-ce pour le bien du Courbet qu’une minuscule part des jupons blancs de Madame Sabatier paraît avoir été analysé par la ‘science’ des dessous ?

Pour le lecteur du dossier de presse, de tels manques de rigueur ou d’honnêteté dans la présentation des fameux « mystères » et révélations sont dissimulés par une apparence de crédibilité absolue…

C’est pourquoi les autorités muséales auront beau jeu après avoir démontré de manière spectaculaire (en N&B) que leur intervention était tout-à-fait fondamentale pour la conservation de l’œuvre, de soutenir « que le nettoyage a permis de modifier la vision antérieure de la composition en frise pour retrouver un espace plus complexe… ».

Et dans la mesure où elles ont fait réapparaître tel ou tel détail, ou un ensemble documenté comme  Les paysans de Flagey, leur autorité s’en trouve confirmée.

Voilà pourquoi il paraît nécessaire d’utiliser une méthode plus rigoureuse de mise en évidence des caractéristiques réelles d’une surface picturale par un système expert, ainsi défini : technique numérique visuelle comparative. Analyses qui devraient permettre quelque autre lecture de la définition de l’image, une reconnaissance du visible, et la recherche de forme, dessin, valeur et couleur modifiés dans l’Atelier du peintre de Courbet par la ‘restauration’ qui vient de se conclure.

N.B. : Cet essai inédit d’analyses visuelles entre états est encore assez sommaire compte tenu des moyens dont je puis disposer ;  les photographies d’avant restauration ont été dans chaque cas contrôlées en comparant diverses sources. Mes prises de vue après restauration ont été réglées au mieux, in situ :

10) – A Ouvrage de la « dernière main » de G.Courbet ?

En haut à gauche :  un travail encore assez approximatif ; c’est l’état premier, la mise en place juste descriptive du sein gauche d’un modèle nu.

En haut, à droite :  ici un ton clair montre comment s’esquisse la reprise. Il met en évidence une élaboration plus poussée, les ombres étant affermies pour mieux modeler les volumes, et renforcer la position du sein au creux du bras. C’est donc un travail d’ombrage avec reprises manifestes dans ‘un vernis à retoucher’ (jus teinté vraisemblablement) ?

En bas à gauche :  ici mise en relief par une couleur de contraste (le jaune), la couche d’après : reprise en ‘demi-pâte et pâte’ pour les tons clairs dans un vernis doré ? C’est une modulation des volumes saillants… en nuances, glacis et dégradés, un travail créatif ajustant le tout pour assurer une meilleure diffusion de la lumière. Le choix plastique du Peintre étant de distribuer une clarté souveraine sur une carnation, pour rendre sensible une matière, un poids, une direction, parachever un ensemble enveloppant la forme naturellement, assurer l’assise clair-obscur donnant corps à la flexion du bras autour du sein !…

En bas, à droite : même à travers une ‘teinte chair’ relativement outrée (abstraite), nous voyons que l’accord ombre-lumière engendre un réalisme subtil, manifestant une discrète palpitation de vie. Remarquons les ‘veines bleues’, perceptibles sous cette peau délicate...

– Ainsi, en suivant ce parcours d’états successifs, plus qu’une évidente démonstration de l’ouvrage de la ‘dernière main’ de G.Courbet, c’est une idée de plénitude qui habite un tel sein.

« Prenez par la main un de ces amateurs d’art qui veulent demeurer réticents à l’égard de cette œuvre, amenez-le devant l’Atelier et demandez-lui s’il connaît un autre artiste de France qui ait peint, d’une pâte semblable et d’un mouvement égal, un morceau comparable à celui qui occupe le centre de cette étrange et magnifique composition. (…) Il n’y a pas, chez Delacroix lui-même, une pareille sensualité. Les dons de l’esprit s’y lisent à travers les formes. (…) Nulle part ailleurs, ce qui monte de la vie n’a su rencontrer ce qui vient de l’esprit de l’homme avec autant de puissance et de plénitude. On touche ici comme à l’équilibre fondamental de la création. (…) Qui osera s’insurger, en regardant ce morceau, devant l’évocation du plus peintre de tous les peintres ? » André Chamson, Les grands peintres célèbres, éd d’art Mazenod, 1948.

Ce détail du sein est emblématique des qualités fondamentales du Chef d’œuvre. On y perçoit l’essence même du travail créateur de Courbet, le mouvement magistral de sa conception plastique, son adresse à incarner, dans une pâte colorée, un état d’existence. C’est « la primauté du moyen employé par une volonté créatrice ». (idem)

Détail plus large sur le buste du ‘modèle-Muse’. A gauche : report de la surface carrée observée plus haut, ici en N&B. On y voit mieux que l’aréole et le mamelon sont dans un état de prédéfinition et que le sein paraît encore ‘concave’ alors que des veines bleues y sont dessinées. Notons aussi que, bizarrement, son gonflement se situe optiquement devant la main, le poignet et l’avant-bras ;  remarquables aussi, les contacts et ruptures y sont relativement chaotiques en leurs ombres…

Par contre, considérons le modelé de l’image de droite, ci-dessus :  Sous le bras nu, l’ombre portée est moelleuse, directionnelle et corollaire d’une belle distribution de la lumière. Le sein se définit ainsi en sa plénitude par un accent doux et clair, non sur le mamelon (comme dans les images aguichantes), mais au centre de son volume sphérique. Observons aussi que le regard et le sourire sont chargés de mystères, émotion intériorisée ou contemplative. Le sentiment d’ensemble qui se dégage de cette figure évoque ainsi plus qu’une « femme nue », une ‘Muse’ :  allégorie réelle de « la Vérité ».

Etat 2  avant restauration     Etat 1 - actuel après restauration

– Attention !  Le parti-pris de cette démonstration est autre que dans les illustrations précédentes. Car nous exposons l’état 1  - qui est hélas l’actuel ‘après restauration’-  visuel à droite…

Or lorsque l’on scrute ces deux états N&B, on constate que l’image d’état après restauration, loin de représenter un gain objectif en « lisibilité » montre un appauvrissement effectif du jeu de clair-obscur, alors que Delacroix évoquait des : « parties d’une exécution considérable » dont « la gorge ».

Une telle perte de modulations, une régression formelle produite par la « restauration » ?  – Est-ce possible ?  Or nul doute que les promoteurs et les praticiens de cette opération proclameront, à leur habitude, que le Courbet amoindri par leur intervention « a dépassé toutes les espérances ».

– Affirmation qui s’accoquine fort bien à l’idée que tout ce qui a été retiré durant deux ans dans les cotons des restaurateurs n’était que de vils repeints « à purifier ». Comme le souligne le dossier de presse (p.13) : « Les repeints masquant les lacunes et débordant sur la peinture originale sont retirés. »

Il est donc à noter qu’en guise d’essai pour la démonstration pédagogique ci-dessus, nous avons fait le choix d’inverser la chronologie usuelle des états pour mieux en exprimer les caractéristiques. Les quatre premiers visuels de ce chapitre nous ont montré la construction progressive du sein dans la courbe du bras, puis nous avons comparé l’état ’avant’ et ‘après restauration’. Il est important de préciser que ces images virtuelles numériques, manifestant des étapes d’élaboration picturale, ne sont pas produites par volontarisme ou trucage, mais sont issues automatiquement de l’application de certains algorithmes, utilisables aujourd’hui en système expert. Il s’agit de faire coïncider deux images objectivement afin de les comparer et de démontrer les différences avant et après restauration. (cf. introduction à cet essai comparatif et billet du 2 mai 2016) Or selon ce ‘différentiel visuel en technique numérique comparative’, il apparaît que le pourcentage de différences globales entre images – surfaces reconnues comme distinctes –  est de 55,82% pour les visuels étroits centrés sur le bras et le sein. Cette mise en évidence numérique, encore rudimentaire, est mathématique. Elle est calculée en plus ou en moins, selon les cas ;  nous en reparlerons…

En l’occurrence, ce pourcentage définit ici une soustraction entre deux états picturaux. Dès lors, la déclaration ci-après, docte et officielle, paraît d’une prétention inqualifiable :  « Voir aujourd’hui L’Atelier du peintre, c’est regarder un tableau proche de celui observé par les contemporains de Courbet. C’est un peu comme si le temps avait enclenché une marche arrière ! » (cf. vidéo : Conclusion de l’Atelier du peintre, France 3 - 13 décembre 2016). Autre affirmation qui donne le frisson : « Il a fallu deux années de patience et d’habileté pour débarrasser le tableau des vernis jaunissants et des repeints. Ces petites retouches des restaurateurs qui finissent par brouiller la lecture d’un tableau ».

Et si ces petites retouches et repeints n’étaient pas le fait des restaurateurs, comme nous  l’avons montré plus haut… alors, c’est bien l’ouvrage de la dernière main, ce sont les traces du pinceau même de Gustave Courbet qui viendraient d’être effacées ? – Retirées à notre émerveillement ? Admettons toutefois que ce ne soit encore qu’une observation fragmentaire.

Néanmoins, les visuels ci-dessus, qui retracent la mise en place du jeu des ombres et des lumières, relèvent ici déjà d’un si haut niveau de complexité, de subtilité,  voire de beauté, qu’il est déjà bien légitime de s’interroger.  S’agit-il ici :

- d’un travail d’interactions formelles, donc d’un processus d’élaboration créatrice  impliquant des retours, reprises et repeints du peintre lui-même ?

- de repeints ultérieurs, et que la photo de fluorescence sous ultraviolet produite par le C2RMF devrait montrer dans cette zone ?

- de repeints apocryphes, issus de restaurations anciennes, à éliminer, le cas échéant, car débordant et s’harmonisant mal avec l’original ?

Cette dernière hypothèse n’est guère plausible, vu l’ampleur du pourcentage relevé : en effet, il est infiniment plus facile pour un restaurateur soit d’intervenir de façon maximaliste, en recouvrant à 100% la zone d’intervention, soit de réintégrer une perte de matière, méticuleusement, de façon minimaliste, sur de bien moindres surfaces de débordement.

Il se trouve que seul l’Artiste créateur est capable – dans l’élaboration et la reprise de son travail et à un tel coefficient d’interactions avec l’existant –  non d’appauvrir ou d’accommoder les restes, mais bel et bien d’enrichir avec toute la maîtrise voulue la complexité du jeu formel d’une sous-couche pour passer d’une « femme nue », à une Muse radieuse innovante… sans banalité, ni obscénité fausse.

Or il se trouve aussi que les images techniques produites par le dossier du C2RMF sont muettes à propos de cette zone.

Dès lors, avec ce premier résultat, il paraît juste d’affirmer, que :

– la dévalorisation esthétique du sein du ‘modèle-muse’, au centre de L’Atelier, superbe morceau de peinture, est un fait rationnellement avéré.

Prenons à présent un autre et plus vaste détail, peut-être assez significatif des transformations subies par l’œuvre dans son ensemble ;  nous comparerons les états ’avant et après restauration’ par zones successives en corrélation :

 à suivre…

Pour être avisé des prochains billets du blog, merci de s’inscrire sur : ltt@etienne-trouvers.com


L’Atelier du peintre du M’O 3/4

Auparavant, il a été question de l'interventionnisme en public sans les conditions d’espaces ni l’éclairage adéquats. Puis, de pratiques ou de principes fort éloignés d’une déontologie à la française ;  agissements d’in-exemplarité originelle au musée du Louvre instituant  – comme naturel –  les "allégements prononcés" en restaurations esthétiques.

Dans une présentation critique illustrée, il sera question maintenant de perception vraie et de travestissement… On en arrivera en multipliant les éléments visuels à observer que la belle générosité a été un vecteur d’aveuglements pour cette opération de Communication. Car les références à la peinture ont été rendues étranges, comme dans un dangereux :  « le faux forme le goût et soutient le faux » !

6)  Avertissement sur…  ou assurance visuelle

Intéressons-nous ‘au flyer’ sur papier glacé (21X15cm) !  – Faut-il encore commenter l’extravagant du sérieux de l’annonce ? (cf. 6 décembre 2014). Ce papier a pour sous-titre : « PARTICIPER A LA RESTAURATION DE… », etc. Il a été l’élément central de promotion voulu sous l’impulsion de la direction de l’Etablissement et de l’autorité de la conservation des peintures d’Orsay. De plus, il participe de l’assurance visuelle produite par la Com du musée…  – service à compétence technique et ‘créative’  à gros budgets –  n’en doutons pas.

Voyons tout d’abord la conformité ‘Réaliste’ de cette mauvaise reproduction du vaste tableau de Gustave Courbet,  avant restauration.

Tout d’abord, au regard de mes efforts d’artiste visuel, on me permettra d’avoir quelques jugements sur l’extraordinaire inexactitude de l’image qui a circulé comme témoin véritable de l’état du « magnifique 22m2 ». Mais en ces termes, peut-être n’était-il qu’un objet de communication en vue d’une souscription publique ?  – Donc la pièce de démonstration pour lever 600 000 €  ?…

Flyer sur papier glacé (21X15cm), détail central de L’Atelier du peintre de G.Courbet.  Fallait-il accueillir son aspect esthétique d’un haussement d’épaule ?  Ou s’en inquiéter ?

Certes, une force des choses sur papier glacé fait tolérer le laisser-aller non qualitatif des images en libre circulation pour le monde touristique… mais aussi pour la comparution officielle, et plus savante, des œuvres d’art  – de la peinture en particulier.

Ceci au prétexte que :
-tout artiste, tout un chacun, est devenu photographe à tablette ;
-le plaisir du partage élémentaire et démocratique est à l’honneur ;
-les ordinateurs et les standards d’écrans sont si divers…

Il peut arriver aussi, des oublis d’exigence… et leurs conséquences… Or, assurément, dès ce visuel de souscription se pose une question de justesse, de conformité à l’original, ou, plus largement, de l’aura de… ou des œuvres d’art. En effet, les reproductions actuelles du tableau du Courbet interpellent !

Que l’on se remémore l’enjeu et la nécessité des premières reproductions couleurs de tableaux célèbres (dans les années 1950). Epoque où il s’agissait de négocier des compromis pour ce que les amateurs d’Art ont appelé :  « les belles infidèles ».

Toutefois, rappelons aussi cette autre évidence : il existe aujourd’hui des paramétrages et des calibrations d’écran pour régler très finement la chromie en numérique et les variables plus ou moins lumineuses d’un visuel, pour l’œil humain ;  et par là même, la reproduction de l’original avant l’impression sur papier ou pour le Net.

De mon côté, j’ai consacré depuis 1999 – moment où il est devenu possible de contrôler numériquement la réplique d’un tableau à l’effleurement du pinceau près –  un  intérêt particulier à la reproduction de l’art pictural (cf. fin de démarche artistique).

On se souviendra aussi que la vérification et la justesse des développements chimiques étaient à l’honneur dans le monde professionnel, pour la bonne reproduction d’art… (en Ektachrome, par exemple). Pour ce faire, l’exigence esthétique en édition d’art voulait que, de prime abord, une mire de calibration servant d’étalon soit présente dès les prises de vue photographiques d’un tableau ; celle-ci permettait de contrôler au mieux l’étape finale des reproductions en quadrichromie.

Mire de référence pour calibration de film photographique ou d’écran, comprenant une gamme de gris pour évaluer les contrastes et les teintes spécifiques des plages colorées ; cette charte permet aussi de remarquer les dominantes éventuelles à corriger (lumière/chimie/reproduction couleur).

Plus qu’une coutume, c’est la leçon et l’enjeu du respect pictural, voire même celui de la haute fidélité qui est en jeu… A cet effet, les meilleures maisons d’édition d’Art envoyaient leurs iconographes ou ‘artisan-tireur-chromistes’ pour vérifier une analogie visuelle avec l’œuvre, étape par étape, jusqu’au roulage final en impression.

Il s’agissait d’abord de confronter une technique  – avec une compétence sensible et devant l’original –  pour effectuer un choix pertinent de conformité entre les diverses prises de vue ; puis, avec les tirages épreuves Cromalin (système d'épreuves couleurs servant au contrôle et à la validation contractuelle pour le bon à tirer, ou BAT, de tout document visuel destiné à être imprimé). Car si chacun sait qu’une peinture est bien plus nuancée qu’une charte graphique, en définitif, question de culture et d’aptitude fort de l’étalonnage de référence, l’œil juste est le bon juge.

Par ailleurs, il faut dire aussi que le passage d’une quadrichromie en CMJN (cyan, magenta, jaune, noir), au standard de définition RVB (rouge, vert, bleu), pour la TV, est forcément très réducteur… Dès le N&B, puis la couleur, on s’efforça donc, de régler les écrans au plus près d’une vérité couleur/valeur relative, mais en recherchant le plus juste pour le confort subjectif de l’œil du spectateur.   – Qu’en est-il aujourd’hui ?

En principe, il coule de source que la révolution numérique permet mieux encore. S’il s’agit de s’approcher des complexités et des mélanges pigmentaires des peintres, les outils technologiques actuels amènent à une meilleure maîtrise de certaines finesses, car disposant de plages couleurs plus vastes et plus nuancées qu’avec des couleurs primaires… en impression offset.

Autre mire de référence : démonstration du potentiel de nuances dans un rendu couleur en impression numérique. Pour preuve de la complexité innovante, on est passé de 19 à 22 tons de gris dans cette mire étalon. Et, pour la calibration numérique des plages couleurs, les capacités d’interventions sont possibles :  en tons foncés, tons moyens, tons clairs.

En principe, les graphistes utilisent prioritairement deux logiciels d’imagerie : Photoshop ou Adobe InDesign CC  pour les commodités qu’ils offrent.

Alors que Photoshop ou d’autres logiciels professionnels de retouche et de traitement sont dits : de ‘dessin assisté par ordinateur’, avec contrôle des gradations subtiles couleurs/lumières, ils permettent essentiellement des manipulations graphiques et en chromie.

Mais, pour être accessible à un plus large public, nous utiliserons pour les démonstrations qui suivent iPhoto, une application qui se limite à un traitement global des visuels et préserve de manipulations volontaristes… En effet, c’est un système de gestion d’images et de photographies, pratique en son usage élémentaire.

Observons ce qu’il en est dans le cas du flyer du musée d’Orsay :

En haut : Flyer promotionnel (sur papier).  A l’automne 2014, le musée d’Orsay annonce ‘la couleur’ d’une restauration esthétique du grand Courbet ;  dessous, à gauche : un brut de scan du flyer précédent ;  dessous à droite : idem, traité avec le logiciel iPhoto dans ‘Retouches rapides’, en cliquant sur  ‘Améliorer’.

Nous constatons (à gauche) que les automatismes élémentaires d’un scan de bureau, moyen de gamme, applique ici d’emblée une correction globale de l’apparence confuse qui lui est présentée. Car le document de base (en haut) comporte des tons foncés, très obscurs : -avant tout d’effet bourré dans les noirs ; - l’échelle de gris y paraît assourdi dans les tons moyens… alors même qu’il conserve des modulations de couleurs agglutinées, etc. (inutile d’en dire d’avantage !).

Le scanner étant programmé pour une plus large tessiture visuelle ou gamme de tons et de teintes, le ‘fichier brut de scan’ va opérer selon un correctif automatique relativement simple. Il fournit ainsi une amélioration des données cachées et des diverses couleurs définissant le document témoin. C’est un réflexe de l’imagerie électronique sans aucune intervention volontaire…

Puis, par iPhoto sur ce fichier visuel de données numériques de base, apparemment assez âpre en couleurs, mais en fait bien plus variées et plus amples qu’il n’y paraît, est cochée une touche élémentaire :  celle de ‘Retouches rapides’. Et de ce visuel apparemment morne, advient (à droite), une lumière ensoleillée qui se rapproche de l’aspect du grand tableau avant restauration.

Ceci est le résultat d’un algorithme automatique qui a dû être configuré selon une norme générale d’équilibre chromatique.

Si l’on poursuit l’application numérique avec ‘Ajuster’,  on va rencontrer une réalité virtuelle proche de l’apparence de L’Atelier du peintre, ainsi qu’elle pouvait se donner à voir dans un éclairage régulier, et homogène, pour lequel le tableau a été conçu… (voir l’ampleur de la composition aérienne ci-dessous) :

Elément central :  sélection du même détail que celui du flyer, état conforme à l’aspect esthétique de la peinture de Courbet, avant restauration.  Ce visuel peut être attesté dans sa teinte générale par des ektachromes anciens, photographiés au musée du Louvre, et même au musée d’Orsay ; cette belle donnée ensoleillée correspond d’ailleurs aussi aux tests d’avant restauration  – essais d’allègements 1, 2, 3 –  sur la robe du nu (cf. billet précédent)

Retour au flyer promotionnel :  l’apparence altérée de ce visuel correspond-elle à un automatisme d’insatisfaction élémentaire ?

Puisqu’il s’avère qu’un logiciel de base corrige automatiquement l’apparence du document, se pourrait-il que, l’effet général de ce flyer soit conçu en direction de la subjectivité « du public » et déclenche aussi un réflexe !?

Il est tout à fait remarquable qu’à l’orée de la restauration esthétique (de la rentrée à fin 2014), deux types de documents  – à effet –  circulent :

a) -ceux d’une allure très terne, aux couleurs comme éteintes et noires, mais témoignant encore sourdement d’une saveur sous-jacente miellée (confère ci-dessus) ;

b) -ceux d’état à démonstration plus technique, à propos des allègements du vernis, visuels sous la responsabilité ‘scientifique’ du C2RMF, demeurant quant à eux, d’apparence jaune… pour le discours ? (cf. billet précédent).

Or, comment se fait-il qu’en ces deux cas d’espèce « avant restauration esthétique », soit escamoté le principe fondamental d’une mire de calibration graphique de référence, sorte de diapason visuel permettant de se forger une opinion objective ?

Se peut-il alors, que ce soit sur une forme curieuse d’induction convoquant l’émotionnel que l'on table, et non sur une conformité à un original bien exposé ?

Certes, notre temps est friand de sensationnalisme, laminant peut-être ainsi la subjectivité et le ressenti authentiques ?  A terme il en résulterait une docilité uniforme de la sensibilité commune au patrimoine national.  – Mais faut-il pour autant ‘baisser les bras’ ?

7La question du climat en peinture

Allons plutôt au Réalisme de Courbet, à ses couleurs, aux harmoniques du tableau, et au climat lyrique dont on peut se souvenir.

Une telle peinture est  – avant tout –  une résonnance du monde visible et naturel qui, avec sa plénitude spatiale magnifique et son climat pictural, s’adresse à la plus ou moins grande ‘valise d’affectivités’ du regardeur. La perception, la sensation, le contact vécu, le désir, les lumières et les ombres, etc.  sont convoqués par un chef d’œuvre de l’Art.

Remarquons qu’un enfant à l’automne, durant une promenade, ramasse un beau bouquet de feuilles, souvent plus que jaunes ou ‘jaunies’  – pour toutes leurs gammes de couleurs :  trésors fugaces mais éternels…  En fait, il s’émerveille et collectionne déjà… Par ailleurs, le bonheur esthétique hérité aux musées  – et de l’art des anciens maîtres –  est initialement et en majorité constitué de peintures à climat chaud… souvent superbes en teintes automnales serties de cadres à feuilles d’or !

Mais il est dit au musée d’Orsay : « des couches supplémentaires sont souvent ajoutées et le vernis peut s’opacifier rendant difficile la lecture du tableau. Pour contrer partiellement ces altérations du tableau, l’amincissement du vernis s’avère souvent nécessaire »[sic]. La question des vernis dits « jaunes », perçus doctement comme « jaunis » ou « altérés », est hélas encore au XXIe siècle, une erreur dogmatique catastrophique…

Regardez et vivez plutôt ceci pour votre avenir :

Après une journée de travail dans un espace clos, arrêtez-vous à la recherche des plaisirs humains de la vie, entre autres à la présence esthétique naturelle… ou au Réalisme… Joie qui vous amènera à goûter le type de saveur douce, paisible et suave de L’Atelier du peintre, d’avant restauration.

– L’accumulation de quelques feuilles d’érable mouillées, a priori sans autre noblesse que leurs teintes vernissées de pluie sont… une équivalence du climat général du tableau.

– Et dans cette atmosphère du grand Courbet, c’est effectivement dans le tableau central, en cette mise en abîme, un cap articulé dans/par le ciel d’automne.

Le maître a trente six ans ;  il dit représenter une phase de « sept années de sa vie artistique ». Son pinceau désigne ‘une reculée du Jura’, métaphore de sa maturité picturale ; il est fort des fruits de l’œuvre de sa jeunesse. Il faut bien voir que l’un des sens secrets de L’Atelier est chromatique ; il est figuré par un jeu de feuillus dorés, liés à la falaise.

– Ajoutez-y, par extraordinaire, une grappe de raisin noir, avec quelques grains encore rouges… et vous avez les teintes et costumes de l’humanité qui vient se faire peindre dans cet atelier, en triptyque :

C’est mieux que promotionnel :  un climat de teintes comme aux limites d’une bascule de lumières, dynamiques et aériennes où les tons clairs et foncés ne sont ni cyanosés, ni trop saturés. La dominante dorée est manifestement un choix de l’art plastique ;  ce monde est avant tout pictural, et non une photographie du réel !

Ce cliché avant restauration – témoignant des qualités poétiques évoquées –  fait partager les mêmes valeurs d’émerveillement qu’un enfant d’aujourd’hui tenant un bouquet de feuilles d’automne.

Assurément les ‘scientifiques’ et les ‘spécialistes’ ricaneront de tout cela. Or, voilà que je découvre sur le site Ulule (en date du 5 février 2016), un propos écrit mais comme ‘oublié’, citation qui paraît se conjuguer avec le concept exposé  – ou illustré –  d’un climat automnal pour cette peinture de G.Courbet :

« Son grand apport, c'est l'entrée lyrique de la nature, de l'odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt, dans la peinture du XIXe siècle (...) », en fait, le propos se continue : « le murmure des pluies, l’ombre des bois, la marche du soleil sous les arbres. »

Propos rapportés par J.Gasquet, in Conversations avec CÉZANNE 1839-1906, p. 143, éd. MACULA

Toutefois, voici un panel déconcertant d’images officielles du tableau ;  ce, d’autant plus qu’aucune n’a de mire de calibration graphique pour en appréhender les travestissements :

Captures d’écran sur le site du musée d’Orsay, fiche d’œuvre de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet, en haut :  le 22 novembre 2016 ;  en bas :  en février 2015

Captures d’écran sur le site Ulule, en haut : page d’accueil pour la souscription à la restauration de L’Atelier du peintre de G. Courbet ;  en bas : en février 2015, « Entrez dans l’atelier » projet pour « une expérience originale »[sic]. Mais il peut apparaître ici que la sensualité d’une couleur picturale, lyrique et spatiale, n’est plus que dessin froid pour nommer des personnages.

Captures d’écran sur le site de promotion Ulule, en haut : page d’accueil, détail pour la souscription à la restauration de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet ;  en bas :  idem, mais image fixe du portail de la vidéo du site.

En enlevant le label rouge et le bouton de ‘vidéo’, il se pourrait que le tableau, comme ce cliché le montre, n’ait nul besoin de restauration esthétique. Par contre, la mauvaise vidéo a des lumières étranges et le discours y est tellement auguste qu’il en devient aveuglant. Une telle fascination s’impose ! Et elle en arrive à faire perdre le sens critique, voire même ici, la mémoire sensible visuelle…  Or Cézanne énonçait cette vérité incontournable :  « Il a beau faire large, il est subtil ».[sic]

– Rafraîchissons le Réalisme, encore par ces témoignages sur une question picturale d’un climat en peinture :

Description : Macintosh HD:Users:etiennetrouvers:Desktop:PA305685.JPG

En haut :  Climat du grand Courbet !…  En bas :  L’image présentée dans la salle du Pavillon Amont, au musée d’Orsay, est celle-ci : reproduction de tendance chocolat, mais appauvrie, ensevelie ; une dominante de climat ‘ayant pris un coup de grisou’. Elle est proposée au public des visiteurs sur la cage vitrée, comme substitut à la non visibilité du tableau en restauration.

Ce type de flottement entre les visuels, censés communiquer l’aspect véritable de l’œuvre, apostrophe. Comment se fait-il que même la presse spécialisée ne s’en inquiète ? En guise de référence à Gustave Courbet, trois possibilités se présentent :

a) - soit cela n’intéresse pas les conservateurs et les restaurateurs car ils ne fréquentent que des originaux et sont abonnés aux mauvaises reproductions, sans y faire attention. Mais c’est ignorer que la peinture se poursuit par le relais de la photographie, puis de la quadrichromie, et qu’au XXIe siècle des répliques numériques artistiques peuvent rendre hommage à la vérité. Or la photographie et le cinéma sont au domaine des Beaux-Arts, et le musée d’Orsay ne se prive pas d’en faire usage dans ses salles d’expositions.

b) - soit les spécialistes de Courbet et les restaurateurs-conservateurs passent devant cette reproduction chocolat affichée sur la cage vitrée sans être troublés, et ne fréquentent ni le site du musée, ni ceux développés pour la promotion de l’intervention. C’est donc une forme d’indifférence qui escamote l’attention experte qu’ils doivent, par leurs compétences, à la complexité de l’œuvre. – Car n’oublions pas qu’un chef d’œuvre est aussi un champ d’harmonie colorée !

c) - soit ces images sont mises en circulation comme des éléments parasites, ni conformes à l’original, ni proches de la vérité de la restauration. C’est un entre deux ou un élément de prospective conçu par manipulation numérique. Mais la déontologie voudrait que, dans tous les cas, les choix soient exposés comme tels. Il se trouve peut-être que l’on enfume le public dans une confusion de chromie ? Du coup, les aspects bruns, noirs, mastic ou gris vont se substituer dans la mémoire esthétique au climat automnal des origines. Auquel cas, c’est une dévalorisation au musée, voire une forme de mépris du public.

8)  Contamination du regard ?

Par l’usage élémentaire de iPhoto, une application qui se limite à un traitement global des visuels, observons encore comment une palette ‘teintes d’automne’, à la dominante dorée subtile et vaste, est nettement fondée sur une bascule jaune-vert, avec divers noirs ‘tons de raisins’ et une trouée de ciel gris bleu.  Cette mise en abîme de paysages est une qualité et un contraste tonique difficile à régler sans une attention particulière lors de la reproduction photographique d’une telle peinture.

Pour exemple prenons un des clichés du grand Courbet avant restauration ; il peut témoigner des qualités poétiques évoquées par Paul Cézanne.

En haut, à gauche (cliché RMN) : image circulant autrefois comme élément de référence au tableau. Sur cet exemple aussi, le climat général peut être qualifié de miellé et d’automnal. Une évidence caractéristique… mais une tendance chaude à négocier pour une bonne restitution de l’effet.  En bas, à gauche :  Histogramme RVB de l’image, traduction abstraite en trois couleurs primaires. L’histogramme joue ici sur toute la gamme des nuances pigmentaires de la peinture ; c’est pourquoi toute la largeur horizontale des tons et nuances impliquant les divers mélanges de couleurs est occupée ; par là même l’ensemble des niveaux de gris y est finement exposée, de 0% (à gauche pour les noirs) à 100% (à droite pour les blancs). Il est aussi observable que la succession de la montée RVB vers le pic (à gauche) est douce, progressive, voire… élégante et très harmonieuse.

En haut, à droite :  le même cliché, mais manipulé, pour correspondre à la capture d’écran de novembre 2016, rappel de l’image présente sur le site du musée d’Orsay (vue auparavant).  En bas, à droite :  son Histogramme RVB se retrouve nettement décalé vers la gauche, donc sur une échelle compressée de foncés. Mais sur cet histogramme, le resserrement des courbes paraît comme chaotique ; c’est donc une simplification caricaturale de la complexité picturale… Remarquons surtout que les curseurs :  Exposition  et Saturation  sont nettement décalés vers la gauche :  à un quart près !  C’est un fait qui traduit un ordre ou une application, voire un choix nettement opéré, en conscience, et non une aberration hasardeuse ou automatique qui aurait modifié l’image du grand Courbet.

De deux choses l’une :  -soit cette opération numérique est le fruit d’une étourderie aveugle, malheureuse ;  -soit c’est une manipulation effectuée avec une intention délibérée...  – Un choix esthétique sous autorités diverses !?

Voilà une mystification qui peut paraître ‘inquiétante’ pour la conscience esthétique et individuelle humaine, si…

Observons maintenant quelle est l’ampleur de la circulation d’images plus ou moins fausses ou approximatives, actuellement ‘sur la Toile’ :

Capture d’écran page 7et 8 sur Google images ; visuels circulant au début de l’opération de restauration. La dominante générale est encore dorée malgré les mauvais éclairages évidents ;  toutefois, certains d’entre eux sont comme jaunes cyanosés, ou comme ‘teinte diapositive ayant viré au rose’ - voire ayant foncé… plus que la chimie ne le pourrait.

Capture d’écran page 1 sur Google-images (novembre 2016) ;  sur cet ensemble, trois visuels seuls conservent de pâles teintes d’automne à ‘tendance dorée’ : car une nette majorité d’images en circulation correspond à une influence manifestement prépondérante, mais sans considération à l’original de Courbet, avant restauration. C’est une pollution visuelle consécutive aux reprises de référents altérés numériquement, images peu picturales ou lyriques, mais proposées ainsi sur les sites officiels très fréquentés (cf. liens).

Un état moche… non qualitatif ou non 'juste’ l’emporte donc en communication sur le Net. Il figure ainsi comme une assurance. Pourtant ces images devraient paraître lourdes, sans saveurs colorées authentiques, brun-noir, ou même grises.  Il se pourrait que la base affective  – sensible –  et effective des mémoires esthétiques, s’en trouve pour le moins fragilisées ou décontenancées.

Assurément la Beauté de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet méritait une toute autre attention esthétique, et pour le moins un respect de son intégrité colorée merveilleuse. Mais, quoiqu’il en soit, force aurait été de conserver un tel chef d’œuvre comme un original authentique  – de référence culturelle –,  un témoignage intangible au musée.

Et, bien plus modestement et rationnellement que sur la vitre de la cage vitrée au pavillon Amont, dans tous les cas de « restaurations fondamentales » majeures, il aurait été scientifique de proposer, effectivement, un projet esthétique avec :  -une charte graphique de validation experte ;  -des hypothèses diverses, en versions numériques ;  -voire même des reconstitutions virtuelles prospectives et témoins…

Certains objecteront sans doute que l’on est en attente d’une apparence nouvelle à redécouvrir, transfigurée par une « restauration fondamentale » puisque forte d’une durée de deux ans… A ce niveau des faits accomplis, ce ne sera « qu’une problématique de rapport d’étape »[sic].  – Ah vanité humaine !

Reste donc à citer en guise de conclusion ce minimum utile, ces propos inoubliables :

«  Le faux forme le goût et soutient le faux, en faisant sciemment disparaître la possibilité de référence à l’authentique. On refait même le vrai dès que possible pour le faire ressembler au faux ».

Guy Debord, La société du spectacle

« Le faux est plus simple que le vrai. Le mélange du vrai et du faux est énormément plus toxique que le faux pur ».

Paul Valéry, Croyances et Religions

– à suivre…

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L’Atelier du peintre du M’O 2/4

Précédemment, nous avions observé que, sans recul, sans possibilité de regard d’ensemble, il n’y avait ni prise de distance travail /regard suffisante (le restaurateur lui-même n’a pas eu de recul) ;  ni visibilité sur un tableau mal éclairé, tant sur le plan optique, spatial que mental…

Il est question de « retrouver l’éclat perdu, la lisibilité, etc. ». Observons maintenant un certain nombre de réalités occultées par la politique conjoncturelle des musées.

Nous vivons à un moment déjà évolué de l’imagerie numérique… où la reproduction d’un tableau – en haute fidélité – est devenue possible. Or, devant la cage vitrée comme sur le net, en guise d’expérience de la restauration, en lieu et place de la peinture, c’est une proposition virtuelle et numérique qui est offerte au visiteur : celle « de découvrir les dessous et mystères du tableau grâce à la réalité augmentée ».

Nous observerons cet exemple. A partir de cette animation ludique, innovante ou évènementielle, quelle place effective est faite pour l’esprit critique quand il se trouve exposé au pouvoir dissolvant d’autres intérêts ?

2Depuis le projet originel (d’avril 2013)

Voici quelques éléments illustrés et réflexions :  « après 18 mois d’études préalables [essentiellement] scientifiques », on s’appuie sur une décision « unanime » (au 24 juin 2014) qui, de fait, assoit d’autorité… l’opération de restauration.

Ils sont seize membres officiellement « compétents » pour remettre sur le métier ‘le grand Courbet’ (en l’absence du peintre !), puisqu’il s’agit : « de sécuriser le tableau d’altérations [et…] d’améliorer son état esthétique, sa lisibilité »[sic].

Même sans a priori c’est, craignons-le, certitude absolue contre opinion critique… S’il convient de bien noter la bonne volonté opérante, il faut observer aussi des indices bizarres… (cf. chapitre précédent), méthodes riches de situations à risque, surtout si le tableau n’est pas bien éclairé globalement !

Assurément, nous ne contestons pas que la restauration soit une ‘mission’ fort périlleuse. Pour cette raison elle est confiée à un corps d’élite que nous respectons par ailleurs (ils ont diplômes, reconnaissances sociales, fonctions et titres, etc.).

Nous sommes dans un musée de prestige international, de haute qualité, avec sa « fête du Trentième anniversaire du musée d’Orsay ». Un lieu devenu de plus en plus superbe ces dernières années !… (et dans lequel une part du travail d’Henriette Grandjean-Bourquin, ma grand-mère maternelle, a l’honneur d’être présenté en Art Nouveau, cf. lien intertexte).

Mais, pour faire bref, remarquons aussi que les conservateurs – avant tout érudits en histoire de l’Art – font appel à des restaurateurs, ou dits « conservateurs-restaurateurs », qui sont des praticiens, respectant peut-être les valeurs culturelles, historiques, esthétiques, voire éthiques, mais intervenant de plus en plus souvent, par application, sur les fondamentaux des œuvres d’art.

Or il semblerait que, dans la logique de certains projets « en restauration esthétique », d’autres contraintes puissent s’introduire.

A l’observateur du phénomène, ceci peut apparaître comme le signe d’une politique inquiétante. C’est donc ce que nous allons examiner, non par plaisir du risque fou, du courage ou de l’audace, mais par devoir citoyen.

3Au sens figuré, prenons quelque recul :

- « Sécuriser le tableau »  de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet.  – Soit !  Car quoi de plus naturel à notre époque (où nous vivons avec Vigipirate).

- « D’altérations » a dit le comité de ‘spécialistes’.  – Peut-être ?  – Voilà qui se discute objectivement, en mesurant les responsabilités antécédentes au musée du Louvre et la complexité de vernis qui en découle…

Mais – « d’améliorer son état esthétique ».  – Alors là, Oups ! dit le peintre, le collectionneur attentif, et tous ceux qui ont ‘la primauté du fait pictural’ en leur conscience, comme un principe de civilisation humaine !

Quant à « la lisibilité du tableau » qui est une des normes actuelles (en tout)! ― Comment définit-on ce concept étranger au domaine de l’art pictural, selon des qualités autres que subjectives… Ce qui conduit à poser la question du degré de confiance à accorder en l’infaillibilité pontificale du C2RMF !

Détail avant restauration : Courbet signe en terre d’ombre, non seulement sur une couleur ‘terre de Sienne’ naturelle, mais aussi sur un ocre d’or (exemplaire !). Mais pour l’émerveillement du public, le musée d’Orsay propose une animation ‘magique’ sur L’Atelier du peintre au M’O (et sur internet), de la poudre aux yeux, pour dire et faire vivre en des termes très édulcorés la réalité d’un possible pictocide ?

4Premiers résultats, en aveugle

Sans autre référence d’ensemble ou correspondance, commençons par regarder un vaste document étonnant.

Puis dessous, un détail saisi le même jour manifestant aussi, semble-t-il, la perte des valeurs d’antan, dans cette œuvre d’un artiste célèbre, Peintre Réaliste et militant. Une toile qui est un miroir des paradigmes de son époque :

-Démonstration ? -journée de travail en cours ? -d’où… ces délimitations en pointillés blancs ?!  Photo réalisée le 11 janvier 2015 (partie gauche de L’Atelier du peintre du M’O), à la suite d’un degré d’allègement déjà avancé… Or, il peut apparaître que l’on touche effectivement aux éléments subtils et glacis de la peinture à l’huile ‘mise à nu’, voire écorchée ? – Peut-être touche-t-on ainsi à l’original de Courbet ? Puis, selon le dogme coutumier, on soutiendra que, grâce à ceci, enfin, nous sont révélées les traces de repeints ou d’usures anciennes ?… – Mais de quel restaurateur bien avéré ?  – De quand ?  – et pourquoi cela ?

En haut :  photo couleur d’un détail de Lazare Carnot ou ‘Le républicain’. Le 5 est un grand test de dévernissage ;  mais déjà aux alentours, le timbre de température de la couleur a perdu de sa saveur, donc du jus de l’achèvement pictural. – Remarquons aussi que la lanière de cuir est déjà mangée par la ‘restauration’ ; elle perd sa continuité et sa trace, en son dessin clair-obscur.

En bas : en N&B, il apparaît également que des tons moyens et des obscurs ont été dissous... – Donc, dans le meilleur des cas, ce sont des repeints apocryphes… qui devront être « réintégrés », curieux travail de Pénélope ?! ― Observons par ailleurs :  les pointillés délimitant les sections d’allègement sont sur des marges plus foncées (entre deux états témoins de travail), là où les vernis posés en 1984 et 1985… ne sont pas encore réduits.

Qu’en est-il pour le public visiteur ?  Pour la Télé ou un reportage, on trouvera toujours quelque touriste honoré d’être interrogé, enthousiaste, s’émerveillant « en supporter »(sic). En vérité, cependant certaines personnes furent choquées. En émoi, malgré le déni et le refoulement de l’impensable, tourmentées… elles frappent parfois sur la vitre, s’enquièrent. Telle cette anecdote vécue, un adolescent demandant naïvement à l’agent de surveillance présent : – Madame, pourquoi ne demandez-vous pas à ces gens-là [dans l’enceinte vitrée] de ne pas toucher au tableau ?

Effectivement, à ce stade du décapage des vernis, l’observateur peut émettre des doutes !... A quel mythe doit-on rattacher cette volonté d’éternelle jeunesse ?  S’agit-il :

a) - d’une quête d’outre-tombe des ‘conservateurs-restaurateurs’ pour « retrouver l’état originel de l’œuvre [dans l’idée que] les couleurs ternies peuvent retrouver leur éclat perdu »(sic) ;

b) - d’un complexe d’aveuglement du C2RMF dans ses tentatives pour voir, comprendre et appréhender le génie de la peinture ?

Mais cette démarche qui opère par application, sans autre résistance que la part solide de la matière, respecte-t-elle la primauté esthétique d’une telle Peinture ?

5Suite à l’in-exemplarité ?

Remarquons toutefois que l’on ricoche de paradoxes en paradoxes ! Les clichés ci-dessus en sont-ils des indices ? Puis on s’aperçoit d’une mise à nu  ― voire d’une mise à cru. D’évidence la matière picturale semble ressortir fragilisée sous les effets du mélange de solvants et de la solubilisation des glacis et des vernis ; le tout réalisé, effectivement… d’un geste délicat… au risque d’accroître les décollements ?  ― Certes, on ne peut dire, mais ces phénomènes laissent perplexe.

Alors qu’il est interdit de prendre photo à l’époque, sous certains angles du regard, des outrances, voire des décapages, peuvent être aperçus.

Gustave Courbet « l’homme qui a peut-être porté en lui la réalité du monde sensible » (André Chamson), et qui s’adresse par la matière aux regards, risque d’être trahi à tout jamais par une « restauration » peut-être abusive. Comment, dès lors, ne pas faire de demandes d’accès au chantier afin de donner un sens à la souffrance ressentie ? (cf. PDF annexe). Mais on se heurte à des fins de non-recevoir.

A ce moment de l’opération, force était de relever que nous étions confrontés à ce qui devrait rester du domaine de l’impensable pour l’œil humain. Or tout effet esthétique est aussi tributaire d’une justesse d’éclairage adéquat et d’un certain temps de regard pour restituer la sensation d’un état de vie. Ce sont là les conditions fondamentales et qualitatives pour la perception du regardeur.

Mais, dans le principe même de l’allègement et de la restauration, il se pouvait que les conditions de travail comme « sous scialytique » soient destructrices d’une autre vision que celle du détail fourni par la feuille de route ?...

Illustrons un phénomène d’objectivité relative par un exemple optique :

« La tonalité varie avec la saturation [lumineuse]. Une écorce d’orange et un morceau de chocolat éclairés par la même source lumineuse apparaissent respectivement de tonalité orangée et marron. Si on éclaire vingt fois plus la tablette de chocolat que l’orange, les deux objets ont alors le même aspect chromatique. (…) On explique cet effet par l’augmentation de la quantité de blanc diffusé par la surface du chocolat sous un éclairage intense. La saturation diminue et modifie la tonalité en faisant disparaître la couleur marron. » in : Visions des couleurs et peinture, Pr. G. Perdriel, Ophtalmologue, p.15, DMF, Action éducative, 1990.

Avec le grand Courbet, c’est la perception des couleurs (pigmentaires et bien éclairées) qui intéresse particulièrement le regardeur, et non « les dessous et mystères du tableau ».

Puis-je évoquer une entreprise équivalente et concrète d’in-exemplarité, la restauration « en public » des Noces de Cana au musée du Louvre ? Il convient de se remémorer l’extrait du compte rendu du 5 décembre 1989 (cf. PDF du billet précédent).

La peinture du Véronèse devra : « être entièrement dévernie pour être purifiées, mais selon la suggestion de F.H. le vernis oxydé (…) pourra être récupéré, filtré et reposé sur les zones dévernies lorsque le nettoyage sera terminé. – L’effet final sera celui de l’allègement demandé par le département, même si pour y parvenir, la méthode n’est pas celle de l’amincissement progressif du vernis ». – principe souligné dans le compte-rendu pour le comité des initiés ;  donc une entreprise hypocrite ?!..

De manière plus générale, on peut lire jusqu’à ce jour sur Wikipédia à propos des Noces de Cana : « La vaste surface de la toile (67 m2 environ) et les délais impartis pour mener à bien la restauration (deux ans et demi) nécessitèrent la constitution d’une équipe de six restaurateurs, dont les principes, les méthodes et les moyens mis en œuvre furent rigoureusement identiques. (…) Ils ont su atteindre, par leur grande expérience et leur talent, un résultat unique où aucune trace des six mains n’est perceptible ». Mais ‘prouesse’ possible en raison même du complet dévernissage, puis revernissage du tableau !

Pour justifier ce type « d’allègements », il est dit à présent pour L’Atelier du peintre que « les couches de vernis surajoutées peuvent représenter un risque pour l’œuvre ».

Dès lors ce type de pratiques – sous l’autorité d’un comité de conservateurs et de spécialistes – et de facilités techniques devient une politique innocente des « conservateurs-restaurateurs ».

Dans de telles interventions, on repose des vernis à retoucher de récupération ; des glacis teintés apocryphes en soutenant qu’est laissée « sur l’œuvre une couche significative de résines anciennes de restauration qui garantit le degré mesuré de l’intervention »(sic) ; puis on ne se prive pas de reprendre pour « réintégrer », fort de la bonne conscience que tout ceci sera réversible, comme l’a été le travail de finition originale ou ancien… – On ne sait !? En l’occurrence cette tactique a-t-elle changé aujourd’hui ?

N’ayant pu avoir accès au chantier de L’Atelier du peintre au M’O pendant la campagne « des allègements prononcés », il est sans doute légitime de s’interroger. Par ailleurs le terme de « lisibilité » est-il une « licence » pour modifier l’original ? Autorise-t-il à introduire un nouveau chapitre de travestissement sans explication supplémentaire ?

Depuis longtemps l’inquiétude est vive ; et les restaurations dites « esthétiques » se suivent sans qu’aucune réforme ne soit effectuée.

Avec Jean Bazaine nous avions été témoins, du vrai « mystère » des techniques de restauration actuelle. C’est pourquoi, indigné, il s’était exclamé :  « un tableau n’est pas une porte ». Indignation partagée par de grands peintres et sculpteurs vivants « d’âges et de tendances diverses ». En lanceur d’alerte, j’avais dû, hélas, les distraire de leurs obligations créatrices et courtoisies sociales… Mais ils avaient ‘suprêmement’ perçu certains dénis de conscience visuelle et matérielle ;  d’où le texte d’appel Le patrimoine dévoyé

Ils avaient eu sous leurs yeux un procédé fallacieux et ses résultats : l’altération des vernis des coloristes vénitiens  – vernis souvent encore originaux en France –  voir celui du Bellini de Besançon ; des « réintégrations » arbitraires… Mais aussi, des survernissages (objet de conséquences désastreuses à re-restaurer, tel le grand Courbet !).

– Peut-on, en conséquence, dire que le respect du vernis le plus ancien n’est plus à l’ordre du jour (depuis le 5 décembre 1989) ?  Dans quelle mesure L’Atelier du peintre du M’O se rattache-t-il à l’opération troublante des Noces de Cana ?

Dans l’inquiétude, force était alors de s’interroger ; de demander accès au chantier pour vivre mieux, peut-être, quelque déni aux réalités sensibles de l’Art. Car allez comprendre pourquoi, après plus de trente ans de mises en garde, mais aussi de formatage des nouveaux restaurateurs par les ‘spécialistes’,  il a fallu encore avoir recours à l’autorité suprême de Matignon (le 6 déc. 2014), ce dès les premiers signes très préoccupants des tests d’allègement des vernis sur l’Atelier du Peintre de G. Courbet, pour obtenir une réponse aux réserves formulées.

Et savez-vous ce qu’il advint après le silence de la rue de Valois, au mieux : quelques courriers temporisateurs, dont celui du C2RMF (cf. PDF annexe).

Par ailleurs, nous n’avons pour l’heure pas d’opinion visuelle, ni de détails pratiques par l’accès au dossier sur les méthodes et résultats de la ‘restauration esthétique’ du Saint Jean-Baptiste de Léonard (cf. Restauration ou volonté de puissance ? - mai 2016). Le principe des nouveaux amincissements ‘modérés’, mesurés au micron près, fera l’objet de notre attention. En l’occurrence, s’agit-il enfin d’un retour authentique à l’éthique de la noblesse de l’Ecole française en matière de restauration ?

Si c’est le cas espéré, il faut s’en réjouir. Car combien de nivellements et pictocides  – avec travestissement du timbre des couleurs et du climat chromatique –  à la suite d’un précédent « en public », au musée du Louvre  et en France ?

Revenons à une démonstration bien plus capitale encore comme emblème, et revendiquée sous les yeux du public du M’O  – « comme une œuvre en soi » au musée (sic) : la restauration et ses annexes mis en scène… comme « une catégorie de trucs mis en vitrine ». Mais, puisque le caractère événementiel prévaut pour faire vendre des entrées…  – Qui s’en plaindraient au ministère de la Culture, sauf si... ?

Ainsi que Régis Debray le relève, il va s’agir de distraire de l’essentiel, avec quelques complicités… cf. L’histoire de l’art et ses artifices, France-Culture, 6 août 2016 (en lien ci-dessous): « L’Evénementiel » (26 :12) L’homme précaire est livré au zapping et au sensationnel. L’histoire de l’art n’est plus un paradoxe… mais est devenu un paravent. – Elle ne peut plus définir un Objet, car l’art est conceptuel. [Dès lors] Le Louvre invite des plasticiens à ranimer ses collections permanentes (…) en y injectant des poupées gonflables, etc! (24 :30).

Pour conforter l’interventionnisme et expliciter l’enjeu, voici les termes de l’animation virtuelle numérique :

– « Vernir une peinture est une manière efficace de la protéger. Hélas, au fil des décennies » (cf. billet du 4 déc. 2014, en 8°) selon les propos officiels « des couches supplémentaires sont souvent ajoutées et le vernis peut s’opacifier rendant difficile la lecture du tableau. Pour contrer partiellement ces altérations du tableau, l’amincissement du vernis s’avère souvent nécessaire ».

Certes, mais c’est aussi idéologique en correspondance avec une société de l’obsolescence programmée. Mais pour qui serait choqué, on ‘informe’ : « Le résultat est parfois spectaculaire (…) »

Détail avant restauration : Vous auriez tort d’être choqué dans une société du spectacle, on intervient… dès les tests originels sur l’un des plus somptueux morceau de la peinture en toute assurance ‘scientifique’ ;  intervention au centre de cette étrange et magnifique composition ;  en ce lieu nuancé d’or et de miel, lieu de possibles glacis de lumière car fort du mouvement de la création picturale ; et l’on découpe, on chiffre, puis…

En haut : capture d’écran sur le site officiel (sous la responsabilité éditoriale du président de l’Etablissement du musée d’Orsay), une mise en situation virtuelle interactive vous implique. On vous présente un état qui, tacitement, est reconnu comme conforme à l’état avant restauration. Puis on vous responsabilise en ces termes : « A vous maintenant de rendre son éclat à la robe ». Dès lors le petit ‘coton virtuel’ peut être activé. En bas : capture d’écran de la fin du processus virtuel d’allégement du vernis. – Eblouissement final sur l’aspect noir et sale ! Mais notons que seule la robe (d’un rose fané, ou couleur jambon gras), fut éclaircie… comme un détail privilégié ; d’où un décalage harmonique avec l’entour. Compte-tenu de la teinte dorée du cliché de référence ‘scientifique’, porteur des tests d’allègement 1, 2, 3, c’est rendre le public complice d’une fourberie ludique.

Soyez tous restaurateur-supporter, jugez comme le travail est effectivement bien délicat ! « Pour la seule zone sur laquelle vous venez d’agir…  l’équipe de restaurateurs a œuvré trois jours : deux heures pour un décrassage [pouvant déjà neutraliser les effets de surbrillance], puis deux jours pour l’allègement du vernis en deux passages, et enfin six heures pour homogénéiser le vernis restant ».

– Reste à savoir si les six heures d’homogénéisation du vernis ‘restant’ sont décomptées avec le vernis oxydé récupéré, filtré et reposé, auquel on ajoute des glacis réversibles. Cette question est-elle légitime ?  Les courriers officiels nous renvoient au principe de transparence : « le rapport final sera consultable à l’issue de la restauration au centre de documentation du C2RMF ». Mais il n’y aura plus d’enjeux.

– Quant aux repeints du doute du peintre… – autrement plus complexes que des heures d’artisanat – imbriqués dans les vernis des origines, avouons que la question reste posée !

Or ce sont de tels constats inexemplaires et des interrogations similaires qui firent écrire à Jean Bazaine, président de l’ARIPA (en 1992) pesant bien chaque mot à son habitude :

« C’est donc un problème d’une portée internationale qui se pose ;  l’avenir de la peinture est en jeu ». Et comment ne pas se souvenir aussi de Leonardo Cremonini, au sortir du chantier des Noces de Cana : « grâce à Etienne Trouvers, nous avons pu faire l’expérience de pratiques étranges. Ce Véronèse est comme éclaté de partout ; mais, pour le paraître, ils sont capables de grandes illusions… Par amitié utopique nous avons cherché leur conscience ; mais ils nous ont traité comme des clochards malpropres qui puent encore la térébenthine : – Je peux être content qu’on me laisse encore peindre dans mon coin ; pendant combien de temps encore cela ?  – La marginalisation de l’Art pictural est en route par les restaurations actuelles ! »

Et au sortir d’une visite, un mardi, pour vision « rapprochée » dans la salle des Etats, d’autres dirent ironiquement et doctement :

Ici, au fond, pyramide du Louvre ou pas… c’est l’Intemporel qui n’est plus éternel !

Si l’Art est ‘la beauté faite exprès’  ce dont témoigne le grand Courbet, cette peinture ne peut se réduire à une recognition de personnages ‘en un certain ordre assemblé’ !  Pour les artistes et les futurs peintres ce tableau était tel qu’il nous était parvenu, non un objet mort ou en train de mourir, mais un recueil formel tout en finesse dans sa truculence matérielle. Gardons et conservons pour mémoire cet état témoin d’avant restauration !

Exécutée en 1855, son titre complet est : « L’Atelier du peintre. Allégorie Réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (et morale) ».

– Assurément, tout un emblème encore, s’il s’agit de « réécrire l'histoire par les restaurations actuelles ! » [sic]. – Et avec quelles tentations peut-être plus vastes que ces 45m2 de cage de verre ? Citons encore Régis Debray : « Les valeurs qui définissaient l’artiste : la singularité, l’authenticité, la créativité, l’innovation, sont devenues les valeurs de la société omni-marchande. L’artiste n’est plus l’anti-bourgeois du XIXe siècle, parce que le bourgeois du XXIe siècle est devenu artiste » (27:54). Par voie de conséquences, affaire – à suivre…

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