‘Restauration’ ?
au musée d’Orsay : L’Atelier…

Chap. 1/3

Prendre la parole à propos d’une intervention « en plein cœur du M’O » est délicat, mais assurément nécessaire. Espérons !…

A l’heure où nous parlons, nous sommes sous la rubrique du ‘Projet officiel’ d’une grande Institution muséale française, le musée d’Orsay,  a priori riche de tous les savoirs de l’érudition de l’histoire de l’art  – car dédiée à la création prodigieuse des artistes du XIXe siècle –  mais qui en tant qu’EPA (depuis janvier 2004), se doit de lever une part non négligeable des fonds nécessaires pour… une extravagance au coût prévisionnel de 600 000€ !  Démarchage qui vise déjà le dépassement du cap des 100 000 €, etc.,  dans le but nettement perceptible de réaliser quelque nouvelle et fameuse restauration sous les feux d’internet.

La bande rouge d’annonce (toute en capitales) : « MAGNIFIQUE 22 m2. IMPORTANTS TRAVAUX à PREVOIR » est-elle assez éloquente ?

Or, après avoir sollicité divers mécènes privés, demeure en temps de crise une recette nouvelle. Voici en quelque sorte celle proposée au ‘cher’ public déjà entraîné à la spectacularisation de l’offre muséale : comment participer au musée  - en complice privilégié -  à l’écorchement (plus ou moins symbolique) de  L’Atelier du peintre  de Gustave Courbet (1819-1877) ?

COURBET  vers 1856, photographié par Nadar à Paris, au lendemain de la création de L’Atelier du peintre. Illustration de l’article d’André Chanson, in LES PEINTRES CELEBRES ;  éd. d’art Lucien MAZENOD, Genève 1948

1)  Vive « la restauration de L’Atelier du peintre… » !  puisque le C2RMF (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France)  figure comme autorité de référence et premier opérateur pour les conservateurs et le directeur du M’O !

Beaucoup de ‘décideurs’ ! Mais, dans le domaine des œuvres d’art n’y a-t-il pas d’abord le travail du métier du peintre, ouvrage patrimonial qui se doit d’être respecté  – et gardé ! –  de nature intangible puisqu’il incarne sans doute des forces… et cette ‘mémoire prodigieuse à la présence de la merveille’ ?

2)  « Il aura fallu entre autres bien plus de 18 mois d'études approfondies, de collectes scientifiques et d’analyses pour statuer sur la pertinence et la nécessité ou non d’une éventuelle intervention ainsi que sur sa faisabilité. » (13 juin 2013 : annonce de marché pour une ‘étude préalable’ à une future restauration.)

La belle affaire ! « Plus de 18 mois », et alors ?…  Si c’est pour en arriver à un tableau cartographié (le chef d’œuvre emblématique de la société humaine peint par Courbet) avec fenêtres sur trois degrés ‘d’allégement’ dont une assurément déplorable… (suivre le lien de la vidéo de démonstration, à 1.10 et 1.14/2.35,  en :  1- état bichonné avec les vernis récents ;  2- allégement :  le vernis ancien bien associé dans la couche picturale ;  3- révélation d’une matière de la pâte usée… peinture mise à nu ?…  excluant déjà ses jus picturaux ou ses glacis de finition, peut-être ses frottis en retour à sec  !?).

Et que prouvent ces éléments de surfaces violentés et données matérielles chiffrées à propos d’un tableau ?  Est-ce un nuancier de la terreur… ou le décapage de la nourriture spirituelle du regard ?  Mais, quoi qu’il en soit, peut-être faudrait-il rajouter nombre de vertus et qualités sensibles à ces 18 mois ‘d’études’ pour que la dimension véritable de l’art pictural survienne enfin, ou soit considérée au musée ?!

« En matière d’art l’érudition est une sorte de défaite : elle éclaire ce qui n’est point le plus délicat, elle approfondit ce qui n’est point l’essentiel. Elle substitue ses hypothèses à la sensation, sa mémoire prodigieuse à la présence de la merveille ; et elle annexe au musée immense une bibliothèque illimitée. Vénus chargée en documents. »Paul Valéry

3)  ‘Lisibilité’ du document ?  Que sont en effet ces « études approfondies et collectes… », tous ces ‘documents’ au regard d’un métier artisanal complexe, immense, voluptueux, texturé et subtil… qu’est l’art pictural d’un Courbet ?

Assurément, il y faut le génie d’une existence totalement habitée d’une pratique du métier visuel, une vraie culture d’ouverture sur toutes les énergies en interaction avec la vision et la vie… et de plus, avec la pure création de l’esprit ! (humilité d’enfant,  sensibilité respectueuse, vaste amour, éveil matériel et folie de l’adolescence, créativité empirique, excellence de l’Artisanat, etc.) Peut-être, Rembrandt ou Goya savent ici de quoi il retourne ?  Ou, plus proche de nous,Balthus qui, sa vie durant, a tenté d’inscrire son œuvre en hommage à Gustave Courbet ?  Or Balthus ne décolérait pas devant l’ampleur exponentielle des ‘restaurations esthétiques’ et il citait amèrement Degas : « Toucher à un Rembrandt, sait-on ce qu’on touche ?  Sait-on comment c’est fait ? C’est un mystère » !

Sans doute me dira-t-on que, depuis de tel propos, les restaurations issues du C2RMF sont garanties par « des collectes scientifiques et des analyses pour statuer » ;  et qu’ils sont mieux outillés en dissolvants spécifiques, en chimie des matériaux, en imagerie scientifique, en optique grossissante, en puissance d’éclairage, car la science contemporaine a fait des progrès !…  Ainsi, et bien plus que le corps médical lors d’opérations, les musées s’appuient dans leur communication sur les technosciences d’aujourd’hui pour imposer leurs interventions aveugles sur l’art !

Public,  on vous trompe !  Au M’O, ne va-t-on pas se jouer encore de vous… et de la conservation réelle du patrimoine français ? Le mathématicien Alexandre Grothendieck observait déjà, en 1972, que « la mentalité technicienne est la maladie infantile de notre espèce ».

Concrètement, si l’on demeure dans le champ de l’art, peut-on dire par exemple, que l’ADN des cordes vocales de la diva Maria Callas, l’imagerie médicale de ses vocalises lors d’un enregistrement, vous révèlent la qualité émotionnelle de son humanité ?  Il me semble donc aussi qu’en art, tout comme en science, « pour avoir la bonne réponse, encore faut-il avoir posé la bonne question ».

4) « La restauration est pilotée par un Comité Scientifique composé d'Experts  […], conservateurs du patrimoine, restaurateurs, experts de l’œuvre de Courbet » :

Certes, dans l’imaginaire du public d’aujourd’hui, l’idée d’un ‘comité scientifique’ (en gras dans le texte) revêt quelque chose  de magique, d’intimidant et de prestigieux. Mais se souvient-il encore de tous ces bâtiments des époques ‘des humanités’ ou de la suite des Lumières, moment de conscience universelle : palais des beaux-arts, musée, lieux de civilisation ou de mémoire avec, en partition, bien symétriques, quelques noms fameux ou bustes de grands hommes célèbres… bien équilibrés entre : Art & Science ?

Concrètement, depuis janvier 2013, le « Conseil scientifique du C2RMF » est composé de sept membres de droit, de onze personnalités ‘qualifiées’ et de deux représentants du Laboratoire, nommés pour cinq ans. Or c’est peut-être beaucoup, pas assez… et insuffisant ? Combien de personnes de ‘sensibilité artistique’ pour statuer d’art en expert ?

Car si l’on en juge par les ambitions ouvertement spectaculaires de cette restauration d’un  Atelier du peintre de Gustave Courbet (présentement encore sous les ‘vernis musées’ de 1977, 1984 et 1985 !), ou par maintes entreprises et aventures de ‘restauration’ :  adaptation des maîtres anciens à nos pratiques consuméristes contemporaines  – sous couvert de ‘lisibilité’ –,  il apparaît que l’institution muséale d’aujourd’hui n’a pas encore su se réformer quant à la prise en compte des dimensions fondamentales et diverses de la réalité picturale.

En 1984, puis mars 1985 et juin 1986, dans les salles Mollien du musée du Louvre, sous l’œil ébahi du visiteur, l’ensemble des ‘grandes machines’, grands formats du XIXe français, a été surverni. Une entreprise déplorable !… (sans doute avec l’aval d’une commission de restauration). A cette époque les précautions sont quasi nulles, hors une bavette de plastique au bas des cadres. Se peut-il que l’esprit d’abstraction soit tel que les conservateurs en charge du patrimoine, à cette époque, aient escamoté les principes et réalités pratiques, l’élémentaires d’une telle opération concrète, et toujours risquée, de vernissage ?  A l’évidence, aucun ‘anti-poussière’ n’a été prévu ! 

5)  Pour ma part, dès 1983, vivant dans l’amour éperdu de  la réalité sensible des œuvres au musée, j’avais en main des preuves émotionnelles suffisamment révélatrices pour réaliser qu’en France, à l’instar des musées anglo-saxons, on se lançait dans une politique interventionniste… 

à suivre chap. 2