Une Suissesse au Musée d’Orsay
Henriette Grandjean

« Le musée d’Orsay compte dorénavant dans ses collections trois œuvres d’Henriette GRANDJEAN (1887-1968).
 Une Banquette-coffre de 1907 et deux terres vernissées de 1911 sont exposées au Pavillon d’Amont, constituant un excellent aperçu de l’art décoratif suisse de style sapin qui anima La Chaux-de-Fonds de 1905 à 1914. »

C’est ainsi que L’agenda culturel de l’Ambassade de Suisse en France vient d’informer les ressortissants helvétiques qu’une ‘résurgence’ d’œuvres d’Art nouveau existe encore à Paris.

Haut lieu de l'individuation artistique d’une époque, le Musée d’Orsay expose et manifeste autre chose qu’un esprit national :  le souci d’une certaine grandeur…  Je ne sais plus qui disait :  « en Art, peu importe l'origine du bois lorsque qu'une flamme apparaît… ? ».

Vase en terre vernissée de 30 cm de haut, signé HGrandjean1911, musée d’Orsay. Réalisé à Ferney-Voltaire, il fut montré avant Noël 1911 au cœur d’un ensemble de 82 pièces originales, dans le Style sapin, exposées avec succès à La Chaux-de-Fonds

Pour moi, en ce début d’année 2014, c’est un petit événement donné en partage aux visiteurs du M’O.  Mais il aura fallu 100 ans !… Peut-être un peu de recul… et surtout quelque acuité professionnelle pour l’apparition fondée d’une Artiste occultée !  

Henriette Grandjean (épouse Bourquin) est ma grand-mère maternelle. C’est d’elle que je tiens mes premières et vraies leçons de dessins.

Elle signera ses œuvres originales de la seconde période, de 1923 à 1941, d’un LHBourquin (ou du monogramme LHB) accompagné souvent d’un sapin.

Je l’ai connue… puis ce fut un personnage assez ‘fantomatique’ !  Car allez comprendre pourquoi cette femme  «  née dans une famille de notables liés au développement d’une cité, métropole horlogère suisse du Jura neuchâtelois », après avoir exercé par tranches de vie successives diverses influences discrètes sur autrui, a voulu pour sa tombe à la Chaux-de-Fonds, la marque d’une valeur suprême. Un calcaire du Jura  « riche des plus belles irisations possibles »,  mais anonyme !?  C’est-à-dire, pleinement laissée à la seule force  – juste incisée – d’une inscription biblique.  (J’y reviendrai dans un billet illustré).

A présent, je sais un peu plus que ma grand-mère a été une femme artiste à la vocation et au destin emblématiques pour la condition féminine de l’époque…  

Après l’enseignement des professeurs Aubert, Kaiser et L’Eplattenier, comme élève externe du Cours supérieur d’art et de décoration de La Chaux-de-Fonds  – en tant que femme, elle ne peut être inscrite aux cours – ni se présenter officiellement aux examens et concours, dont celui de 1906 à Milan !  (certaines de ses conceptions de boitiers de montre y seront primées) ;  elle décide de partir aux sources de L’Art nouveau, dès fin 1905 (à 18 ans), et fait un voyage d’études d’un an à Paris,  Bruxelles, Munich… puis à Dresde à la Kunstgewerbeschule dirigée par Lossow, avec le professeur Gussmann pour le dessin de composition décorative.

A son retour dans la cité horlogère (sorte de laboratoire de la condition ouvrière par sa mono-industrie !), moment de la réalisation de la Banquette-coffre… le contexte de révolte et de grèves des années 1906-1911 la pousse à l’autonomie puisque sa famille est ruinée. 

Dans l’élan d’ouverture sur la vitalité artistique de l’époque, elle rejoint un atelier d’art décoratif de renom à Genève afin :

« d’Enregistrer le maximum, puis revenir en notre ville natale dans le but d’ouvrir un atelier et de donner des leçons. Les plans étaient fort beaux mais, comme j’avais toujours en horreur des études réglementaires, comment me soumettre ! Entrevoir la perspective d’enseigner des méthodes auxquelles je ne me soumettrais jamais !  J’apprenais volontiers mais toujours dans le but de faire autrement. Enfin, me dis-je, allons toujours et ne discutons pas » écrira-t-elle.

Dorénavant elle apprend et travaille pour une Maison-atelier prospère qui réalise des objets décoratifs et publie des modèles ;  elle loge dans une pension ouvrière, source d’écriture et de réflexion sur la vie des femmes.

On va la retrouver active comme ‘dessinatrice’ en diverses disciplines d’art décoratif en 1909-1910 dans le même atelier, transféré à  Paris  – maîtrisant les techniques d’ébénisterie, argenterie, pyrogravure, marqueterie de cuir, broderie en ficelle, dentelles, etc. Puis, après un moment en Suisse (où elle expose des pièces de terres vernissées, en 1911) elle conçoit des travaux de décoration dans le canton de Neuchâtel, en 1912 ?  H.G. est ensuite à Varsovie comme dessinatrice pour des travaux sur tissus pour la Cour de Russie jusqu’en 1913. Alors qu’elle projette de partir aux USA, sa famille lui rappelle qu’elle est fiancée à un architecte. Elle se marie en 1914.

Destin de grand talent et d’exigence, d’une puissance de travail et de créativité rare,  Henriette Grandjean est un vrai personnage de roman…