Gustave Courbet (suite 2)

‘Restauration’ de  l’Atelier du peintre :  – Quel rêve de faisan ‘doré’ au cœur du M’O !...

– Mais à quoi rêvent-ils au musée ?  Après trois expositions manifestes à thèmes provocateurs, observons le besoin présent de cette intervention, affirmée le 3 décembre 2014 à l’auditorium du musée d’Orsay :

Cliché présenté pour la souscription :  photo dé-saturée et sous-exposée ! (doc. issu du site Ulule.com) mais aussi sur le site du musée d’Orsay

 

Etat antérieur (aux vernis du Louvre), aspect à comparer avec le cliché présenté par le musée d’Orsay.

Un nouveau projet :  la restauration de "L’Atelier du peintre" de Courbet

D’emblée, l’œuvre capitale de Courbet, bien commun du citoyen, a été soumise à une appropriation tarifée… En fin de souscription, durant la journée ‘d’étude’ : « Conserver, protéger, restaurer au musée d’Orsay » furent exposés les objectifs actuels sur L’Atelier du peintre de Gustave Courbet. Une vidéo d’une heure a été mise en ligne… Instruit d’extraits retranscrits, le présent commentaire des propos relève quelques unes des erreurs méthodologiques de la ‘restauration’ liées à une tendance réductionniste.  Par exemple, nous observons que les conditions initiales de l’intervention s’avèrent insuffisantes, erronées, voire pernicieuses.
– Compléments critiques en  10 points :  (cf. lien vers la vidéo ci-après)

1)  Présentation  -Courbet étonne par le fait que souvent ses toiles partent d’un fond brun-noir et explique lui-même : « La nature sans le soleil est noire et obscure : je fais comme la lumière j’éclaire les hauts saillants. » (Propos à Max Claudet).

Or, dès la première minute d’immersion à l’auditorium du musée, une image tendancieuse du tableau est projetée ;  L’Atelier est détouré (pour l’effet ?), sans fond, hors cadre !  En guise de témoignage – sur le jeu d’émergence de splendeurs chromatiques très finement dorées, traitées en clair-obscur en des climats modulés et divers résultant du travail sur une  base sourde – le cliché produit par le musée d’Orsay s’avère un contre-témoignage.

Vidéo  capture d’écran du tableau ‘donné à voir’ au public par le M’O

Si ceci a pour objectif d’« éclairer » le public sur le projet de restauration voilà de quoi laisser songeur !

Aucune attention ne semble portée au fait que la bordure blanche entourant l’image est éblouissante. Cette bordure gêne donc gravement la lisibilité. Elle obscurcit l’image et accentue l’effet fané de l’ensemble.

Lorsque le visuel occupe tout l’écran, l’intégralité de l’œuvre n’est pas respectée. Le tableau est rogné de plusieurs cm. Il reste ainsi décentré pendant la conférence. Or à plusieurs reprises, seront évoquées les bordures de tension de la vaste toile, lieux d’interventions nécessaires.

Ceci n’est-il imputable qu’aux conditions techniques de l’opération ?

 

2)  Légitimation  -Relevons aussi l’importance accordée aux illustrations de ce qui n’est pas visible à l’œil humain (dont la radiographie de 1977).

A l’évidence c’est la pièce maîtresse du dispositif. Le grand élément de fascination du public ! On fait croire au public qu’on le traite avec tous les égards dus à ses compétences, alors qu’on montre des clichés qui sont travaillés selon des règles scientifiques précises dont la plupart des gens ne connaissent rien, différentes selon les disciplines et très difficiles à justifier, en fait, sur un plan purement pictural. C’est un discours où la rhétorique est utilisée pour persuader.

« Sur la radiographie, on voit plus l'ébauche du tableau que l'œuvre finale. Certaines figures n'apparaissent pas à la radio, la matière étant trop légère, tandis que d'autres, disparues de la composition finale, sont révélées », dit-on au C2RMF. A cela rajoutez les images infrarouge et les réflectographies (en fausses couleurs), où l'on est sensé ‘bien voir’ tous les repeints... et le public est gagné. Dans notre monde techno-dépendant, la crédibilité générale à propos de la démarche, de son sérieux, atteint son comble. Cette avalanche de clichés est-elle vraiment justifiée ?

La truculence mystérieuse et fantastique du métier d’un Courbet se prête à des repentirs, à des repeints, à la vaste complexité de la création artistique et donc, à des découvertes anecdotiques !

Une image aux rayons X de la densimétrie osseuse de votre boîte crânienne vous est-elle demandée par l’esthéticienne pour épiler vos sourcils ? Non, sauf à vouloir aller sous l’épiderme jusqu’aux parties osseuses. Voilà peut-être pourquoi, dès la première phase de l’intervention, une radiographie numérique était affichée sur le côté droit. Etait-ce pour rassurer le public ? Pour légitimer l’intervention poussée au-delà du dernier vernis à respecter ? Pour légitimer, donc, une opération touchant à la matière picturale de Courbet ?

Le public du 3 décembre se doutait-il que l’image radiographique brouillait, au mieux, détournait, au pis, son attention sur le visible, par la fascination pour l’invisible.

 

3)  Vision globale  -La cage de verre a été saluée comme une innovation sans précèdent. Or, cette ‘restauration’ réitère le principe d’une cage vitrée au cœur d’un musée, comme cela avait été le cas pour la restauration des Noces de Cana… On retrouve, hélas, les mêmes erreurs méthodologiques.

Les gens de métier en peinture ou dans le domaine optique connaissent la nécessité, toute logique, de disposer d’un espace équivalent à deux fois et demie la hauteur d’un tableau, pour avoir suffisamment de recul, d’une part, et pour prendre une vue d’ensemble, de l’autre, soit dans le cas de L’Atelier, plus de 12m (et l’ampleur particulière du format de L’Atelier du peintre avec les installations du travail demanderait plus encore),  – mais la profondeur de la cage n’est que de 5,80m, auquel il faut soustraire (à l’intérieur) l’épaisseur du châssis et la largeur des échafaudages de plus de 1,50m.

Observons alors que la cage de verre du M’O est un espace en fait assez « exigu », de 45m2, ce qui ne permet pratiquement aucune possibilité de recul. Cet espace est, par ailleurs, encombré de deux échafaudages mobiles, lesquels projettent des ombres portées sur le chef d’œuvre.

Admettons que les restaurateurs aient le nez collé sur la toile. Ils sont munis de lunettes grossissantes et travaillent sous projecteur. Ils sont donc plus « proches » de la surface qu’aucun peintre ne l’a jamais été. A quoi cela peut-il bien leur servir ?

Or, ils sont bien obligés de sortir pour juger leur journée de travail ! Et ils ne le peuvent pas parfaitement parce qu’ils sont tenus aux limites matérielles de leur cage de verre !

Une telle ‘restauration’ n’exigerait-elle pas de bien voir, les résultats d’un travail fait morceau par morceau et menaçant, dès lors, l’harmonie générale de la peinture ? Remarquons aussi, tout comme le public, que les verres de l’enceinte ne sont pas de ‘qualité musée’, antireflets !

Le beau principe participatif de « transparence » n’est pas effectif !

 

4)  Visuel de référence  -Ne pourrions-nous, d’ailleurs, nous étonner qu’on n’utilise pas les possibilités visuelles actuelles ? Ne serait-il pas utile, pour commencer, de réaliser une réplique numérique haute définition de l’œuvre (au minimum, photographiée en lumière naturelle et en vraie grandeur faute de scan) pour, pas à pas, permettre de s’assurer que la forme artistique de Courbet est parfaitement respectée, et selon toutes ses qualités harmoniques ? Une réplique de qualité pourrait permettre non seulement d’aider les restaurateurs à suivre et comparer leur progression au cours de leurs journées de travail, puisqu’il s’agit ‘d’opérer la cataracte du tableau’, mais aussi d’aider les contributeurs, les amis de Courbet et le public d’apprécier effectivement le travail d’interventions autrement que pris dans les événements et le discours officiel !..

 A cet effet, des spécialistes ont-ils validé un état visuel de référence ― en haute définition ―  avant d’entreprendre leur intervention ?

 

5Sources et diagnostic  -Essentiellement liés à l’érudition livresque et à l’approche technicienne du C2RMF, remarquons que ce sont les documents écrits qui prédominent (devant un tableau de peinture à l’huile) ! Or ne sommes-nous pas face à des réalités esthétiques visuelles ?

Mais pourquoi, dès lors, n’y a-t-il aucune approche ou analyse visuelle de l’apparence picturale objectivement considérée comme fondamentale ? Par exemple, ce 3 décembre 2014, allez comprendre pourquoi l’on s’empresse de se méfier des propos admiratifs d’Eugène Delacroix : « appréciation subjective de l’artiste » ? Que veulent dire, et avec quelle résonnance aujourd’hui, les termes « faire amphibologie dans le tableau » (pour nous, peut-être contraste de mise en abîme ?), et les remarques de « non fini » pour l’ensemble de la partie haute ?

Et l’on escamote la référence sensible, une forme de sacré lié à « l’amour du travail bien fait », fondatrice de la bonne transmission d’un chef d’œuvre !!

Madame I.P., conservatrice, tient un discours d’historienne de l’art ; mais en fait c’est déjà un parti-pris d’exclusion aveugle. Elle table son discours sur un descriptif iconographique qu’elle affirme ‘fondamental’; puis souligne qu’on ne dispose pas de traces documentaires anciennes concernant la partie haute de la composition : « fond du tableau qui pose des problèmes d’interprétation aujourd’hui »(12 :10).

Ainsi avertis, nous n’aurons pas à protester si cet espace, pourtant nécessaire plastiquement, en ressort bouleversé.

Les conservateurs ici présents ne se fondent, donc, sur aucun diagnostic visuel objectif  pour… autoriser le travail de restauration !

 

5bisLe sens de l’art  -Ce diagnostic, il conviendrait pourtant bien de l’établir avant que ne soit décidé de toucher à l’une des parts les plus inventées et magnifiquement fondées selon le processus magistral de la Peinture, primauté du fait de peindre !

Or, une dimension abstraite et mystérieuse de cet Atelier de Courbet  – celle de son fameux « plus rien qu’un grand mur nu » –  créée un espace en rythme d’envolées, en finesse structurée, subtilement cadencé et contrasté, dans un apparent ‘inachevé’ ! Et, compte-tenu des sept lès de toiles perceptibles, je le soutiens, contraintes sublimées… (procédant essentiellement de son « devinera qui pourra ») !

Nous voyons là, une preuve manifeste d’une création artistique géniale puisque Gustave Courbet l’avait d’abord imaginée comme un espace concret et provocateur, tel « un tableau d’ânier qui pince le cul d’une fille qu’il rencontre… ! ».

Une succession de sortes de ‘dazibaos’ d’une richesse inouïe dans l’art occidental, en 1855. Ces pans séparés, créent un espace fondateur d’un ordre purement pictural qui construit une succession, mystérieuse, de vastes paysages (un peu à la façon de Léonard derrière la Joconde ?) à l'ancienne au-dessus des têtes de caractères et portraits.

Le monde goûté par les amis de Courbet : ‘espace’ entre irréel, imaginaire et fiction, et qui devient un paysage « réel », l’incarnation picturale d’un Ornans (réaliste !). Cet espace pictural est manifestement regardé et perçu par la figure de la femme à droite (Madame Sabatier), mais ignoré par « ceux qui vivent de la mort », à gauche, (les braconniers et les gens de convention).

« Grand mur nu » pour l’époque mais riche de taches pré-arborescentes en formation ; manifestation de structures dissipatives, voici qu’à tous égards le morceau pictural tient effectivement de l’indicible (à peine commenté ou mal compris) !

Si, par conséquent, on entreprend un travail de restauration sans avoir analysé, en toute modestie (ce monde complexe, de hauts panneaux de diverses réalités et fictions, sorte de pré-Mondrian combiné de Zao Wou-Ki à l’époque de la figuration), lorsqu’on prétend appartenir à des disciplines scientifiques, ne se devrait-on pas ici au moins d’appliquer un principe de précaution absolu ?

Or, c’est déjà une des parties qui a le plus souffert. Elle paraît maintenant comme un 'tohu-bohu' !

 

6)  Par induction  -L’œuvre est peinte en 1854-55. Il est, alors, implicitement « reproché » à Gustave Courbet d’avoir exposé son Chef-d’œuvre ― une évidente toile manifeste ― encore à peine oxydée et tout juste vernie… Bien que techniquement complexe, la toile de 22m2 a pu voyager roulée. Contrairement aux assertions émises par les autorités du musée, et complétées de quelques suggestions laissées aux médias à propos de la nécessité d’une ‘restauration’ (préventive) en raison de transports multiples (par exemple :  à Bordeaux en 1865, puis à Vienne en 1873), les transports et interventions récentes ne sont pas évoqués…

En d’autres termes :  nous, au M’O, avons aujourd’hui les moyens et les fonds pour faire mieux  – et sommes bien plus prudents que lui (un peintre célèbre, hors pair en son métier !).

Il est question d’un « état du tableau dégradé avec le temps » (20 :07). On suppute, on soupçonne, et l’on affirme, sans preuve autre qu’inductive, que la peinture fut exécutée à la va vite par Courbet : « œuvre bâtie très rapidement, présentant très tôt des altérations et des problèmes d’adhérence » (20 :57). Mais on oublie de rappeler que le rentoilage de 1934 (au musée du Louvre)  a pu parfaitement consolider et renforcer les bandes de tension de la toile et les bordures.

Entre avril 2013, puis février et juin 2014, sont demandées des études préalables… puis, de nouvelles analyses (matérielles) complémentaires qui aboutissent à une décision peut-être assez compliquée à prendre. Le 24 juin le ‘Comité scientifique’ demande de « sécuriser le tableau qui présentait un certain nombre d’altérations et également améliorer son état esthétique, sa lisibilité »(23 :51).

Tout un programme !  Mais on se garde bien d’expliquer au public la nature et l’importance de ces altérations.

 

6bis)  Quelques fondamentaux  -Le 3 décembre 2014, il est évoqué que Degas aimait tant le chef-d’œuvre ainsi, qu’il a failli en être acquéreur. Je ne résiste donc pas à rappeler un des témoignages de Daniel Halévy :

« Ce fut bientôt (contre) le directeur du musée du Louvre (…) que se tourna la colère de Degas. Cette colère avait un objet précis qui devint pour lui le sujet d’une indignation presque inquiétante, tant elle avait de force et de fixité. Le sujet précis de cette indignation, c’était une restauration des Pèlerins d’Emmaüs qui venait d’être effectué par les services du musée (…). Les Pèlerins d’Emmaüs avaient pour un temps, disparus des cimaises ; enfin reparu, le tableau n’était plus celui que nous avions connu. Ici, je parle pour moi même, par moi même ; j’affirme que le tableau remis sur la cimaise éclairci par le nettoyage n’était plus la toile que nous avions connue. J’ai récemment vérifié ce souvenir en comparant des photographies anciennes et des photographies récentes. Le tableau lavé est un tableau dévalorisé. Je pense qu’il se produisit dès lors des jugements sévères dans la presse. Ce qui reste dans mon souvenir c’est l’indignation de Degas. Il semblait que l’on eut touché à l’honneur de quelqu’un des siens. Le directeur du Louvre s’en est expliqué : « Je suis conservateur des tableaux du Louvre, je les conserve (…) ». Degas répétait amèrement ce propos. Il était furieux par le fait que les Giorgione, les Rembrandt, les Watteau avaient travaillé pour être livrés à des fonctionnaires pédants. « Toucher à un Rembrandt, sait-on ce qu’on touche, sait-on comment c’est fait ? C’est un mystère. »

Degas parle, 1891 p.53-54, éd. de Fallois, 1895

Que pourrait-on ajouter pour mieux expliciter la crainte des artistes devant les refus péremptoires des muséographes ?  L’optique de la création artistique part d’un tout autre point de vue et d’une autre expérience vécue que celui du pouvoir exercé présentement par les conservateurs sur les œuvres du patrimoine artistique.

Une peinture à l’huile subit une oxydation naturelle. Il y a d’abord un processus relativement rapide dès le premier séchage ; un équilibre s’établit entre huile, résine, et pigments, après l’évaporation de l’essence de térébenthine. La tradition du métier veut que dans les premières années, la couche picturale reste souple et se stabilise progressivement dans l’oxydation pour un équilibre, heureux, au bout d’environ cent ans. Si, dans cette première vie de la peinture, l’œuvre de bon artisanat s’est agréablement conservée (selon un bon équilibre matériel et optique), sa maintenance dans le temps est assez simple. En l’occurrence, le grand Courbet pouvait voyager sans problème dans un immense rouleau ;  c’est une chose que l’on savait parfaitement faire !

Ensuite, sa conservation est celle que l’on doit aux caractéristiques de l’âge vénérable :  du calme et des précautions… Certes un rentoilage a été décidé en 1934, mais derrière,  on se contente de régénération du vernis. La régénération pouvait se faire avec une essence volatile ou bien avec de l'alcool liquide beaucoup moins "léger". On ne sait pas dans le cas présent. Mais on intervient le moins possible sur la couche picturale ! Des accidents peuvent survenir ; on dépoussière, on décrasse, on bichonne, mais on respecte… même si un équilibre chromatique doré peut paraitre relativement plus sourd.

Mais trois vernissages successifs en huit ans c’était vouloir faire d’un être de 130 ans un sous neuf !  Dès lors le processus de stabilisation temporelle a été remis en cause !  Pourquoi faire payer le prix de la « sécurisation esthétique » au public actuel alors qu’elle est très évidemment imputable à ceux qui, en 1977, 1984 et 1985, ont commandé ces aberrations !?

L’une des premières initiatives de  Monsieur G.C., président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, en janvier 2008, a été d’initier une nouvelle muséographie réduisant au maximum les brillances regrettables dues aux couches de vernis successives, par un éclairage joliment astucieux. Dès lors, l’état des lieux pouvait être considéré comme satisfaisant. Sagement, on pouvait agir superficiellement… (juste alléger les vernis récents).

 

7)  Vernis respecté ou table rase  -Depuis l’époque de la ‘restauration’ des Noces de Cana au Louvre, s’est fondé le principe de la ‘table rase’ allant au-delà des allègements de vernis… jusqu’à meurtrir l’épiderme de la couche picturale avant la restauration des lacunes. Donc selon des critères sans nuances dénoncés à juste titre par l’ARIPA ; et ce fut la mise en place d’un discours fondé sur des demi-vérités idéales !...

 Or, suite à une question inaudible d’un auditeur de la journée d’études, on aborde enfin le principe essentiel du vernis (le plus ancien) à respecter. Madame C.B., restauratrice mandataire, répond : « Je pense que très vraisemblablement il y a eu un vernis. On a même vu au cours des analyses qu’il y avait des traces de vernis entre les strates de peinture de l’artiste. Je suppose qu’il a été verni au moment où il a été présenté. A l’heure actuelle, la présence de ce vernis paraît un peu espérée, mais pas vraiment réaliste. L’œuvre a été restaurée plusieurs fois. » (53 :11)

Elle doute donc qu'il en reste sur la surface. Peu nous importe son doute, ce qu'on aurait voulu lui entendre dire, c'est qu'on recherchera toute trace qui pourrait en subsister !  Ce qu'ils ne feront probablement pas... Le (ou les) vernis le plus bas (ancien) est-il est constitué des même résines que ceux des sur-vernissages très récents ?  

Face à la complexité de la création artistique que de confusions pour une « chirurgienne en peinture » sous couvert d’analyses du C2RMF et de maints documents d’archives !

Bien sûr qu’il y a « des traces de vernis entre les strates de peinture de l’artiste » ! On ne rappelle pas souvent l’anecdote de Bonnard revenant, en cachette, au musée, armé de sa palette, afin de travailler encore à s’approcher de l’équilibre idéal d’une pensée harmonique ! Sur le chevalet… même les plus grands artistes ‘remettent sur le métier leur ouvrage’.

Depuis les frères Van Eyck, sans doute, des « vernis à retoucher » ont été élaborés à cette fin précise ! Il se produit même que des Véronèse, Courbet ou Balthus poncent la matière picturale, l’usent ponctuellement, pour faire quelques reprises ou « raquelures » au couteau ; ajouter du vernis à retoucher, etc. Et même, une fois le tableau verni, sec, il leur est encore possible, je le soutiens, d’y revenir, d’y retoucher, ceci expliquant les strates constatées !  Mais les analyses ‘scientifiques’, si fines soient-elles (au micron près), ne peuvent rien dire de cela ― qui n’est pas de leur ressort. Elles constatent seulement. Les conservateurs interprètent, ensuite, un mystère venu tout droit des tripes artistiques !

Les reprises sont avant tout d’ordre esthétique et formel. Elles relèvent donc du jugement de l’œil. C’est pourquoi l’allègement des vernis, la régénération prudente, le bichonnage précautionneux, etc., avaient été le point fort d’une éthique professionnelle à la française. Pourquoi ne le sont-ils plus ?

 

7bis)  Hypothèses  -Cette restauratrice soutient que, durant la guerre, entreposé au château de Sourches, le tableau fut restauré. Admettons… mais ce n'était pas du tout une "restauration" telle que les musées l'entendent et la font à notre époque... René Huyghe, Aubert, Goulinat et Germain Bazin étaient des chantres du principe de ne jamais toucher au vernis le plus ancien, car imbriqué avec les phases subtiles et finales d’une création artistique !

Après la guerre, la documentation mentionne effectivement plusieurs soins ;  mais assurément méticuleux. Et rien ne démontre alors le fait ou le principe d’employer :

« 7 restaurateurs pour la couche picturale, 4 pour le support + un photographe » pendant plus d’un an pour la très modeste somme de 600 000€ (tout compris) !!

Donc, de deux choses l’une :

soit les restaurateurs sont formés à l’idée (ou à l’idéologie) que toutes les œuvres anciennes ont toujours été manipulées, usées, repeintes, donc bidouillées, etc.

Mais alors c’est omettre ou accepter d’ignorer deux facteurs :

- a. Que les restaurateurs d’autrefois étaient proches des peintres et des amateurs d’art, tel que Daniel Halévy, lesquels étaient foncièrement hostiles aux interventions radicales permettant tout et n’importe quoi ! Restaurer à l’anglo-saxonne… c’était de mauvais goût !

- b. Que les conservateurs font volontairement une « impasse » sur le fait que c’est l’évolution des sciences et des techniques, l’évolution de la chimie actuelle, qui les entraînent à aller trop loin.

soit nous sommes devant une aventure « légale » (parce qu’ils sont fonctionnaires de l’Etat et « responsables » devant leur hiérarchie) laquelle prend place dans la vie du musée, et peu importe si cela s’exerce au détriment de l’œuvre.

Mais alors, c’est travestir le patrimoine artistique :

- c.  Pris dans leur conception « scientifique » de la restauration (il se peut qu’ils y croient, eux-mêmes) ils refusent d’admettre ses aspects mortifères, et permettent les « purifications » esthétiques.

Grâce à quoi on va effacer la part vivante de la bonification acquise aux cours des ans par les œuvres (par exemple, le principe de l’harmonisation des couleurs par les anciens maîtres) !

- d. Dès lors, le respect, le goût et la transmission de la tradition sont révoqués comme « réactionnaires », « pas scientifiques », « conservateurs » (au mauvais sens du terme), et, par vanité, la restauration aboutit à une sorte de taxidermie des œuvres d’art.

 

   8)  Raisons d’autorité  -Dans le cas de L’atelier du peintre, l’idée de départ est que : « la lisibilité est troublée par l’accumulation des vernis oxydés. (Et que) les couches de vernis ont une incidence sur les soulèvements » (46 :09).

Voyons pour cela, le niveau d’intervention sur l’un des « tests les plus aboutis » (50 :35) sur le site d’Orange.com :

Cliché visuel (à peine recadré) pour mieux percevoir ce qu’il en est des trois niveaux d’allégement :  D’après moi, en 2, après le décrassage, un amincissement paraît possible. Mais, en 3, on se trouve déjà dans les couches picturales originales de Courbet. On pénètre dans un magnifique morceau de peinture du drapé, au centre du tableau. On va, jusqu’à gommer des ombres, décaper des jus. Par endroit on produit des usures, au centre droit, et on véhicule de la matière, au centre gauche ; ce qui dissout le dessin de craquelures anciennes !

« On compte 4 à 5 couches de vernis général. Quant au vernis original, il y a de forts doutes qu’il existe ; mais restent beaucoup de vernis d’intervention ».

Mais le cliché du test ci-dessus, pour emblématique qu’il soit, n’est nulle part expliqué, si ce n’est qu’on nous assure du principe ‘très méticuleux et précautionneux’ de la démarche.

L’argument de Monsieur P.C. du C2RMF : « vous savez que les tests ont toujours besoin d’interprétations (nous soulignons). On ne peut guère les montrer comme cela, les livrer en pâture. Ils ont besoin d’être compris, comparés, analysés très finement par ceux qui les font, les restaurateurs, les conservateurs, etc. »(50 : 33)

Cette vérité ne rend que plus problématique l’approche de la restauration. Oui, chaque test repose sur une théorie scientifique et un modèle de références techniques (pour les machines, pour les résultats chiffrés, pour les mesures, pour les couleurs choisies), qui ne sont pas nécessairement en rapport avec l’intuition immédiate.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas, a priori, de chimistes, de physiciens, de scientifiques qualifiés dans le public en général ?

Les conservateurs sont-ils plus savants en chimie, en physique nucléaire, en chromatographie en phase gazeuse que le public ? Depuis quand les conservateurs du département de peinture des Musées Nationaux ont-ils des diplômes scientifiques leur permettant de bien comprendre ce que leur disent les personnels qui leur expliquent les épreuves qu’ils leur présentent ?

Enfin, c’est instituer une situation de monopole de fait, et un droit d’intervention sans contestation possible tant sur les images que sur les diagnostics, comme si seuls les « experts » avaient raison :  mais qui sont les experts ?

Cliché radiographique (produit en 1977) et numérisé, doc. du C2RMF. Tant qu’il est question de repérages élémentaires, tels ceux des 7 lès de toile de lin, tout va bien. Mais ensuite, la démonstration de localisation dessinée de telle ou telle figure ne laisse-t-elle pas songeur, tant pour le niveau de dessin, calqué sans doute sur l’original du Courbet, que pour la compréhension des repeints délimités par des traits grossiers, si sommaires ?  Et l’on s’interroge alors !

Assurément, il y a un ordinateur sur le chantier. Mais, de chevalet, de planche à dessin, ou de carnets de croquis pour capter, dans le respect premier, quelque vision intelligente autre que celle d’un concept général dit ‘scientifique’, ça, je n’en ai vu aucun... Voilà peut-être pourquoi le parti-pris paraît si aveugle. 

A ma dernière visite, je remarque même que les restauratrices nivèlent les intersections de la toile  – avec lesquelles le maître a forcément travaillé pour établir sa composition… mais, par contre, coupent de frontières aux petits points, pour elles ce sont ‘journée de travail du salarié’, des morceaux de peinture, souvent fondés d’une ‘seule venue’ par couches successives…

Par exemple, la part de ciel et d’une forêt de la Loue sont fracturés à présent, sans conscience de leur interaction au sein de la plus fameuse démonstration d’un maître en sa peinture ; et les dits ‘repeints’ enlevés sur le coude gauche sont-ils un mystère à révéler à présent ?

 

8bis)  Compétences et inquiétudes  -En quoi les conservateurs  – dont la formation, pour autant que nous sachions, repose essentiellement sur l’histoire des collections, l’histoire de l’art, l’histoire culturelle européenne, et un peu de droit –  sont-ils plus à même, que le public ou, surtout, que des artistes (exclus des décisions muséales fortes : cf. billet du 4 déc. 2014), à juger de ce qu’il faut faire dans le cas d’une restauration esthétique ?

Le patrimoine national est un bien commun dont on ne peut distraire l’accès à toute autre recherche que l’officielle.

De plus, l’interdiction générale de photographier au musée d’Orsay (qui, à première vue, établit de meilleures conditions de visite tout public confondu, fonde un sérieux handicap pour le chercheur ou le regardeur). Il est donc difficile de développer une conscience critique complémentaire, ici nécessaire…

Néanmoins, la perception du niveau 3 de l’allègement par quelque lanceur d’alerte, a pu modérer l’impulsion « du test le plus abouti »(50 : 31). Face « aux inquiétudes de certaines personnes sur l’allègement trop profond », il est dit que ce ne sera pas forcément ce niveau qui sera choisi. – Heureuse nouvelle !

Mais lorsque l’on se rend au M’O pour voir comment se déroule réellement l’opération, l’inquiétude persiste quand on observe la phase présente d’allègement des vernis, devenu nettoyage et ‘purification’ au point qu’il m’a paru utile de faire part de mes inquiétudes à Madame Fleur Pellerin, ministre de la Culture. (cf. lien ci-dessous)

 

9Le règne du quantitatif  -Tout se vaut… dans l’optique de jeunes loups pragmatiques formatés au commercial !  Ainsi, n’en va-t-il pas autrement de la part du communicant à la table du M’O :

-22m2  d’un trésor artistique, et des plus inestimables… c’est en l’occurrence à mesurer à  l’aune : « d’un prix au m2 dans le 7ème arrondissement de Paris » (28 :10) !

-La réduction, par le travail de restauration, de la complexité sensible de l’Art, en faveur d’une vision sommaire du devoir de transmission, laquelle revient aussi, comme d’un « projet XXL » (29 :04) ;

-et par là-même, la proposition innovante « de réécrire l’histoire de l’acquisition, cent ans plus tard » ! Alors qu’en 1920, on parlait de panthéonisation et de réparation à l’égard de Courbet, en 2015 on en est au « don contre don » (31 :04).

-C’est qu’il convient, selon les courants forts de la mode, d’appeler le public à participer à l’opération. Voilà une ‘restauration’ où l’on devient « acteur privilégié (…) pour faire partie de l’Histoire. »

-600 000€… ?? Voilà le coût de l’intervention (explicité à présent comme somme globale, etc.) !

Le montant des sommes auprès du public mécène du M’O (partenaire classique) est estimé à 155 000€. A partir de quoi, un autre appel auprès d’un nouveau « public participatif » (c’est-à-dire, plus largement le visiteur), atteint 155 374€. Mais on reste encore loin de la somme posée !  Qu’il faudra compléter sur fonds propres et publics ?... 

1330 contributeurs ayant répondu présents avec un don moyen de 116€ ne prouve pas réellement « que l'art est bien l'affaire de tous » même si le président du musée d’Orsay, déclarait à l'AFP : « Je devinais que cette restauration provoquerait des polémiques et que le fait de la faire en public derrière des baies vitrées faciliterait sa mise en route ».

 

10Moments pour l’illusoire  -Assurément : « la médiation est un enjeu crucial pour les musées », puisqu’il s’agit « d’accompagner, d’aider le public à accéder aux œuvres, à les comprendre »(34 :34). C’est l’autre enjeu « de cette campagne de restauration… » !  Mais pour les acteurs au M’O, comment l’envisagent-ils ? Comme : devoir, savoir, ou pouvoir de communication ?

Après la première période (allant du décrassage à l’allègement des vernis), imaginons que l’état des lieux du nettoyage – inégal – fera moins d’effet pour « l’éducation et la médiation ». En effet, en dépit des affirmations de transparence qu’apporterait la cage de verre, il faudra d’abord savoir compenser les difficultés optiques et matérielles rencontrées par le public devant ce nouvel état du tableau…!

Suivant le « devoir » annoncé de visibilité, les échafaudages devront encore plus servir de couverture au principe (qui nous paraît assez inquiétant) de la mise à nu, par parties… et par restauratrices diverses  ― en journée de travail délimitée au marqueur blanc ―  qui devrait engendrer une rupture complète de l’harmonie complexe de la composition.

Alors, nous entrerons dans une formule spéciale. Celle d’un certain ‘savoir faire’ ! Car le restaurateur est laissé à ses propres observations « suite à l’allègement du vernis, on pourra voir et comprendre comment se comporte la couche picturale »(47 :27) ;  étrange formule qui fait songer que l’on observe un terrain naturel soumis à expérimentation.

A ce niveau-là on touche à l’original, « où l’on découvre () la partie un peu cachée des mystères de l’œuvre »(47 :25). Moment crucial où le public et les autorités de tutelle, espérons-le, pourront devenir témoins des agressions matérielles portant atteinte à l’intégrité d’un des chefs-d’œuvre de l’humanité ?

En effet :

-il arrive que les solvants rompent les équilibres réalisés naturellement dans le cours du temps en provoquant une lixiviation des zones (par exemple, là où les solvants atteignent la peinture en s’infiltrant dans les craquelures). Les restaurateurs recourent alors, ainsi que nous l’avons constaté par exemple sur les Noces de Cana, à de faux vieux vernis… reposés sur les zones dévernies lorsque le nettoyage est ‘terminé’ –et que les phénomènes chimiques semblent neutralisés. Le mal n’en est pas moins fait (et peut remonter plus tard ?) (cf. le test au point 8 et les éléments illustrés pour alerter la Ministre, en lien ci-dessous).

-Interrogez des restaurateurs expérimentés, ayant une forte éthique professionnelle !  Tout récemment encore, « deux restauratrices, manifestement malheureuses, m’ont confié : –« Ah, monsieur, si vous saviez ce qu’on nous demande de faire dans les musées ! Mais il faut bien vivre ;  qu’y pouvons-nous ! ».

Puis encore :

-Les bouleversements formels subtils sont souvent interprétés, comme futiles et subjectifs !  Combien de regards, dès maintenant, ont suffisamment de connaissances acquises et d’expérience vécue pour comprendre que l’un des traits principaux du génie d’un Courbet, est : « de coordonner, de composer, d’assembler les rapports, de les voir plus justes et plus étendus » (Eugène Delacroix) ? Le visiteur de musées, voit ce qu’il voit… – si on le laisse regarder !  L’émotion esthétique est une expérience de vérité et de sens qui nous aide à vivre mieux… Le visiteur arrivera devant une toile dont la clarté le surprendra. Il applaudira le Musée d’avoir ajusté l’œuvre aux critères de son regard, réglé par les publicités télévisuelles. Il sera content de payer pour voir un anachronisme optique mortifère et le résultat d’une dégradation technique.

Nous pouvons être assurés que la médiation pour adulte et jeune public insistera, dans sa volonté de communication, sur un « certain nombre d’altérations » anciennes, et sur le fait :

-qu’il fallait « sécuriser le tableau » (dans un monde où rien ne doit échapper à « la sécurisation » grâce aux évolutions de la  technologie !),

-qu’il fallait « également » « améliorer sa lisibilité »(23 :51) ; question d’état esthétique, donc !

Mais, la volonté pédagogique affichée évoquera-t-elle aussi la pertinence de ces deux fondamentaux, éléments émis par l’ARIPA, depuis 1992, et l’histoire funeste des Noces de Cana au musée du Louvre ? (cf.  lien avec le billet du 4 déc. 2014)

 

10bisOccultation  -Les éléments matériels ou techniques du travail, et les garanties ‘scientifiques’ revendiquées, procurent au visiteur du musée une certaine excitation.  L’idée qu’un savoir-faire « parcimonieux » était à juste titre exercé, est alors active.

Après l’idée, si à la mode, d’animation en public par les restaurateurs, vient la phase de la restauration proprement dite. Alors, tout devient très lent ; ennuyeux même !  C’est un moment assez laid pour les regards non avertis !

La veille encore le chef-d’œuvre est admiré pour son climat splendide subtilement doré. En son centre, il est fort de couleurs émergentes entre différentes qualités d’ombres ; le sol de l’atelier est un socle en terre de Sienne naturelle et ocre d’or. Tout ceci, après le nettoyage, sera maculé de mastic (blanc ?) pour « le comblement et la mise à niveau des lacunes »(48 :25).

Telle est la part irrémédiable de l’opération actuelle. Après quoi, durant un temps long, le tableau sera irregardable. Les échafaudages alors seront encore plus indispensables …

Très proches de la toile pour éviter tout incident, les restauratrices doivent reprendre, lacune après lacune, pas à pas, avec de la couleur au vernis (je pense). C’est -très petit, très appliqué … Car selon le dogme de la conscience muséale actuelle, pour les repeints du temps présent, il ne faut pas déborder.

Or, à distance, cette phase n’a rien de spectaculaire. On sera donc tenté d’occulter le plus possible la vision du tableau, tout en continuant à planifier des ‘évènements’ comme des petits déjeuners, des dîners, etc. pour les VIP et les « acteurs privilégiés ».

Côté public arrive alors un devoir nouveau… Il faut communiquer avec le peuple, devenu consommateur de l’offre et du mécénat d’entreprise !  A cet effet, un programme de médiation édifiant sera proposé dans le musée, dès mars 2015.

Il sera proposé : « Une application de réalité augmentée ». Non pas dans une salle pédagogique annexe, mais au sein des chefs d’œuvre, au cœur même du plus célèbre musée du XIXe du monde !

Qu’est-ce qu’ « Une application de réalité augmentée » ? C’est, à l’aide de tablettes et de casques audio, la possibilité pour le public de superposer des informations virtuelles sur le tableau en restauration (autrement dit : brouiller la vision directe au moyen de textes sonorisés et d’images. Interposer et superposer au lieu d’apprendre à voir directement.). Comment refuser puisque, c’est offert par le musée ? Cadeau !!

Dès lors, sans doute au dos des échafaudages, une ‘reproduction’ (d’une certaine taille ?) occupera ― escamotera ― l’attention du visiteur, et une médiation d’appropriation permettra … de toucher « des échantillons de toile et de châssis pour donner une idée de la matérialité de l’œuvre de Courbet » (37 :30). La stratégie de détournement du regard sera alors à son comble !

Voyons l’illustration présentée à l’auditorium :

Magique, n’est-ce pas ?  Mais que signifie cet exemple ? S’agit-il de ‘faire du neuf avec du vieux’ ?  Du surréalisme ici, mais en 3D ?  Car à quoi bon cette sorte de 'réalité augmentée'(38 :31?  Ce visuel vaut-il le coût du point rouge sous la palette de Gustave Courbet ?

Bien avant le ‘pointeur connecté’ du M’O, projeter les règles, les modes, les critères de notre temps sur un tableau ancien, fut une voie procurée par Pablo Picasso – ouverte à plusieurs reprises, entre 1950-61. Mais attention… Picasso y prenait alors le risque ‘inouï’ d’un certain ‘droit à l’arbitraire’ qui était : Création artistique, hommage d’une certaine maîtrise et non… récréation du public  !

Une telle réalité augmentée qu’est-ce au fond ?  Est-ce pour faire le « joli » ? Est-ce pour sacrifier au goût de « l’amusant » ? – et du fun ! On apprend en écoutant un responsable que : « Le scénario est écrit par des spécialistes du numérique culturel en concertation avec des conservateurs ».(39 :25). Lesquels, s’il vous plaît ? Les conservateurs sont-ils devenus les « animateurs » d’un Disney Artland) ?

Faut-il rappeler que jusqu’il y a peu, le rôle premier de la peinture était d’être le véhicule d’une pensée constructive, servant la beauté, flattant la sensibilité humaine : « Moi qui fait profession de choses silencieuses » écrivait Nicolas Poussin, qui ajoute : « Il faut user des mêmes moyens à les bien regarder comme à les bien faire ». Un tableau est un objet silencieux et fixe placé devant un regard, dirait-on aujourd’hui.

Si on le voulait bien encore, dans les musées des Beaux-arts, on pourrait apprendre des réalités considérables afin de mieux goûter certaines subtilités non polluées, dans un émerveillement naturel à la vie !

Pour le vécu du regard, le dessin académique… toujours enseigné par les plus fins révolutionnaires en Art, tel César, Etienne Martin, etc., éduque : à la conscience, à la déduction, à l’opinion, à la convenance, à la tolérance, à la différentiation, à l’humour, à l’identité, à la singularité, au rire, à l’amour du regard, à la mode et au goût (et encore, ce n’est pas tout !).

Dans une conscience des choses silencieuses, la confrontation de ces trois images devrait suffire :

En haut : détail central d’une composition magistrale ; photo N&B de la peinture avant restauration. Au centre : visuel capture d’écran, manipulé numériquement pour l’effet 3D. En bas : détail central de la peinture respectant les propriétés de l’harmonie chromatique.

Même en N&B, quelle imbrication interactive étonnante de la composition : avec tout le savoir de son Art, les éléments de dessin, de valeurs, de ‘couleurs’, de matière, de mystère optique, créent une forme supérieure à ce que la Nature peut savoir composer. Courbet affirmait que cette peinture est :  « Le tableau le plus surprenant qu’on puisse imaginer ».

Par comparaison l’exemple de « réalité augmentée » est consternant... On y perd tous les repères de sens de la forme distribués par Courbet. On devine bien le petit plaisir du graphiste : mettre Courbet sur une chaise éjectable ;  réduire à une sorte de ‘dégueulis’ les « parties d’une exécution considérable » grâce à un logiciel de déformation d’image. Faire passer derrière le chevalet l’allégorie réelle, après l’avoir détourée, sans ‘seuil de tolérance adéquat’, quelle révolution !... Surtout si, en plus, on scalpe l’un des grands collectionneurs du maître du réalisme. Tout ceci est pédant et mauvais !…

C’est nul ; mais reste à savoir pourquoi, pour rendre hommage à la vérité, a été fait le choix d’une atmosphère si livide, grise et froide, pour accompagner l’animation aérienne d’un détail si mal taillé qu’il leur faut tirer dans la manipulation des éléments de mort dans les angles ?

Le témoignage de Courbet est autrement émouvant, sensuel et spatial. L’assise dorée d’une atmosphère lumineuse, telle la croûte craquante d’un bon pain, campe bien l’émerveillement de l’enfant. Un statisme ‘réaliste’ de pure poésie qui parvient à communiquer ― sans besoin d’aucune sonorisation ― le jeu de formes mystérieuses et de saveurs. Quant au chat ?

Delacroix disait : « [Je] reste seul près d’une heure et je découvre un chef d’œuvre dans son tableau refusé ; je ne pouvais m’arracher de cette vue. Il y a des progrès énormes… » en cet Art. .

 

10terLaboratoire des regards  -Dans l’effort d’éducation et de communication pour une Approche visuelle de la peinture, avec la volonté de rendre honneur aux réalités artistiques, il y a bien autres choses à produire au musée (cf. liens avec le colloque de Mouans-Sartoux et ICHIM 2005, International Cultural Heritage Informatics Meeting, lieu des premières démonstrations de réalité augmentée avec E. Trouvers).

En toute logique de prospective, il existera, par le fait des facilités du ‘numérique’, une bien plus vaste offre que les simples cartels traditionnels posés aux côtés des œuvres au musée ; ce qui permettrait de compenser relativement la perte de sens produite par les interventions, dites de ‘restauration’ ;  mais qui sont une forme de pollution de la perception au nom d’une idiologie périlleuse de purification esthétique !... Il s’agira alors, de compléter visuellement… bien des partis pris laissés en héritage par presque deux générations de conservateurs de musée.

Mais il serait bien tout de même que le vaste ‘pictocide’ aux réalités sensibles du patrimoine, s’arrête... Car les outils technologiques recèlent déjà un potentiel de présence ;  et force serait déjà de réaliser que les restaurations esthétiques, assimilables à d’autres errements de la fin du XXe siècle, vont assez vite se révéler obsolètes au regard de la prise en compte des interactions systémiques !

Chacun sait par exemple que sans les lois physiques de la chute des corps, il n’y point de possibilité d’envol, donc de liberté humaine. Dans les logiques du visible, il y a aussi des règles de grammaire spatiale ;  elles s’offrent au regard, en formes, couleurs et richesses de proportions. Et, comme dans toutes les logiques, il y a des exceptions. Quelle merveille, et quelle leçon putative ! Je pense même qu’une pensée ‘écologique’ pourrait trouver du miel en ces fleurons patrimoniaux et artistiques de l’humanité. Car elles sont organisées pour produire le juste, le bien… Et c’est si Beau !

Or, si toute ‘restauration’ intervient dans cette logique et porte atteinte à son intégrité, force serait de s’en méfier. Est-ce pourquoi, tels d’augustes prestidigitateurs, les responsables du patrimoine au musée d’Orsay (entre autres) se sont lancés dans une restauration (si onéreuse) ?  Y a-t-il un intérêt (autre qu’illusoire) à chausser un casque « pour entendre murmurer les personnages du tableau ; pour percevoir leurs pensées » (38 :16) !

La 'réalité-mu-muse' au Musée d’Orsay !... Mais à quoi bon, s’il n’y a pas de règles respectées dans une lettre de remerciements et une prudence vis-à-vis des normes qui fondent les sociétés civilisées ?  Par là même, il s’agit aussi de savoir à présent quelle est la part de manipulation et de liberté bien licite dans le domaine muséal.

A cet égard, le sculpteur et peintre Raymond Mason m’a affirmé lors de nos discussions fréquentes, que Picasso se serait insurgé de toutes ses forces et contre cet arrangement de l’arbitraire et de la restauration au musée ouvrant la voie à une tyrannie mentale. Et par exemple, n’aurait-il pas vomi ici la part perfide d’une pseudo 3D, complément par trop évident de la ‘restauration’ du Courbet ?

Dans cette même logique, quelle importance aurait l’ironie libératrice de Marcel Duchamp ? C’est-à-dire, une paire de moustaches sans  l’existence  de La Joconde  bien garantie, bien conservée, échappant aux gens de la ‘restauration’ !

 

S'il s'agissait d'un « MAGNIFIQUE 22 m»  en réhabilitation... « IMPORTANTS TRAVAUX à PREVOIR… EN PLEIN CŒUR… » (comme l'annonçait le Musée d'Orsay avec une désinvolture, un humour fort déplacé),  peut-être que je fermerais les yeux !  Mais ici, dans le patrimonial, comment ne pas être sidéré !?

Avec de telles interventions nous allons au pictocide !  Les autorités sont bardées de certitudes grâce au fait d’une planification événementielle et muséale, appliquée aux anciens maîtres… Voilà peut-être aussi pourquoi nous nous trouvons devant une régression de la sensibilité, de la civilisation, et dans l’irrespect… de l’existant.  Un chef-d’œuvre de référence au musée est manipulé à grand frais, dans un aveuglement prétendument scientifique ;  et selon des approches qui usent le sens, la transmission historique, et l’altérité subversive des œuvres d’art.   Or, en ces moments de crise, nous avons besoin de nous ressourcer simplement auprès de socles chargés des valeurs qui nous construisent et nous rendent plus humains.

Artiste visuel, peintre, donateur, c‘est la mort dans l’âme que je me dois au devoir de prélever sur mes forces  – donc à la jeune création –  pour alerter sur un des objets éminents de notre patrimoine mis à vif, mis en péril, par ses conservateurs mêmes !

– Quel rêve de faisan violet au cœur du M’O !... – Et voilà, et voici… pourquoi il s’agit hélas, mais assurément, d’un Cauchemar :