3 lanceurs d’alerte… tagués !

Anything to say ?  – œuvre de Davide Dormino

Projet de ‘mobilisation citoyenne’ : Anything to say ?  – œuvre de Davide Dormino pour la liberté d’information et de conscience. Après Berlin, Dresde et Genève… sculpture photographiée à Paris, le 24 septembre 2015, au soir, sur l’esplanade du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou.

Cette sculpture a été exposée (du 23 au 26 septembre) moins d’une petite semaine ! Avant d’autres lieux culturels ou places publiques de par le monde.

– Sa prochaine destination en France :  Strasbourg… et, au mieux, place Kléber (du 16 au 21 novembre) ?  Or la question se pose encore ;  ce avant son retour sur la place des Nations, à Genève ?  – Pourquoi ?  En voici, pour moi, quelques raisons :

Bien plus qu’une pièce abstraite d’art minimal, cette représentation figurative (à échelle 1) est un témoignage. Il faut y voir une forme d’hommage mondialisé aux lanceurs d’alerte : Edward Snowden, Julian Assange et Bradley Manning.

C’est l’emblème de trois êtres réunis, debout dans leur acte de résistance citoyenne : « se mettre en danger pour défendre les droits de tous à une information libre » ; ou principe humain d’une existence en conscience !…

– Sculpture de D. Dormino, soutenue par REPORTERS SANS FRONTIERES.

Edward SNOWDEN :  « Je ne veux pas vivre dans un monde dans lequel tout ce que je dis et fais est enregistré » 

En fait, au regard de ce type d’addiction à tout va, c’est ‘ondes et micro-ondes’ ! Comment ne pas être inquiet et d’accord ?…

– Bonne gens, voici le monde terriblement séduisant des interactions numériques maniaques ;  et leurs conséquences y sont merveilleusement faciles ! D’où bien des inédits possibles :

-l’enregistrement au quotidien de chacun par chacun ;

-un moment clé pour l’espionnage collectif et individuel (car même les gouvernants et les puissants n’en sont pas indemnes !) ;

-un principe de vie formatée au nom de notre sauvegarde, de notre sécurité…

Dès lors, toute prise de conscience authentique, ou expression solidaire de la liberté, nettement vécue jusqu’à une prise de risque citoyenne – parfois héroïque – ne méritent-elles pas le respect ?

Lors de l’inauguration publique de cette sculpture à Paris, en présence de : Catherine Deneuve, Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte dans l’affaire UBS, Luc Hermann, journaliste d’investigation… je relève l’expression ‘manifeste’ reprise sur Franceinfo, le mercredi 23 septembre 2015 :

Se lever, pour ne pas tomber
Grimper, et dire, pour ne pas s'agenouiller

Dire, à voix haute.
 Dénoncer l'indicible
– Oui, c'est possible !

Le tout est d'y arriver…

Voyons plus large. Nous pourrions aussi penser aux êtres ‘calmes’ dans la nature. Par exemple, à ces végétaux fantastiques en montagne, comme enracinés par leur seule verticalité, presque sans terre, mais debout… – parfois dans des trous sans fin, par pure résistance essentielle ! J’en veux pour preuve aussi quelques monuments du génie humain, depuis les fondements ‘énoncés’ d’un Homme marchant par une Parole d’amour (sur le lac de Tibériade) ;  principe de mise en danger nécessaire…

Dans le domaine de l’art : -la coupole du Duomo de Santa Maria del Fiore de Florence (1420-36) par Filippo Brunelleschi, dite ‘impossible d’y arriver…’ -Et de même, avec Le David (1501-04) de Michel-Ange Buonarroti,  -avec Le Milon de Cortone (1671-83), ou le malheureux Alexandre et Diogène (1671-89) de Pierre Puget,  -avec Le Balzac (1891-97) d’Auguste Rodin, pour n’évoquer que le travail exemplaire de sculpteurs audacieux ?

Concrètement, ce sont des Œuvres figuratives infaisables, inouïes !… mais finalement victorieuses.

Plus près de nous (au dernier quart du XXe siècle), dans un contexte assurément moins favorable… ne doit-on pas citer la volonté de chef-d’œuvre pour le peuple de nos Villes :  -de Raymond Mason, -Jean Tinguely, voire aussi d’Ousmane Sow (Paris, au Pont des Arts, en 1999) ?

Sans remonter plus avant aux philosophes ou penseurs qui ont su faire bouger l’ordre éthique et les lois en société, voici que… les craintes humaines ricochent :

Voltaire, Rousseau, Hugo, Zola, Valérie, Camus, Sartre (et bien d’autres !), pour en arriver à devoir réaffirmer aujourd’hui : -le respect fondamental de la sphère privée ; -une information cadrant dignement avec notre vie contemporaine ; -une transparence démocratique nécessaire dans la vie démocratique, « réalités que des institutions publiques ou privées s’emploient à cacher ou à minimiser ».

D’où… à l’inauguration du 24 septembre 2015, un texte lu d’Irène Frachon, lanceuse d’alerte dans l’affaire du Mediator.

– A preuve que tout est encore ‘sauf facile’ :

Edward Snowden

Edward Snowden, né en 1983 : informaticien américain réfugié en Russie. Son tort est d’avoir communiqué à la presse de nombreux documents montrant l’ampleur de la surveillance mondiale exercée par la NSA (National Security Agency).

Julian Assange

Julian Assange, né en 1971 : cofondateur du site WikiLeaks, est confiné dans l'ambassade d'Equateur à Londres. Il est le rédacteur en chef et porte parole du site web lanceur d’alerte fondé en 2006 qui a publié de nombreux documents militaires, diplomatiques et économiques internationaux.  

Chelsea Manning

Chelsea Manning, né en 1987 :  soldat condamné aux Etats-Unis à 35 ans de prison pour avoir « livré des secrets d'Etat ». Affecté en 2009 à une unité de renseignement en Irak, c’est lui qui a fourni, en 2010, à WikiLeaks les documents auxquels il avait accès.

Ici absent, mais évoqué… Charles Glass, né en 1951,  journaliste anglo-américain spécialiste du Moyen-Orien ; il a été kidnappé en 1987 au Liban pendant 62 jours et a révélé, en 1988, l’emploi d’armes chimiques par Saddam Hussein. En 2011, il a publié la traduction anglaise d’Indignez-vous de Stéphane Hessel.

Anything to say ?

– Anything to say ? – Sculpture de rue, présentée de profil sur une esplanade et sur une voie de l’espace public parisien à fort passage…

Une sculpture d’art contemporain dont les médias ont finalement fort peu parlé !

« Les passants sont invités à monter sur la quatrième chaise, geste qui symbolise à la fois une prise de parole individuelle et la défense des droits universels. » 

L’implication collective ou individuelle est l’une des premières questions posées aux sculpteurs pour toute œuvre à inscrire dans le domaine public.

Par exemple, pour Les Bourgeois de Calais (sculpture inaugurée en 1895), Auguste Rodin aurait bien aimé réaliser ce type d’installation ‘révolutionnaire…’ – Il s’agissait alors de faire interagir, un par un, chaque personnage de bronze avec les passants sur la place d’une Ville…

A l’époque, le concept d’appropriation collective lui a été refusé. Les édiles et les bourgeois ne l’auraient pas compris. Et la sculpture des Bourgeois de Calais fut disposée en composition d’ensemble (comme au jardin du musée Rodin à Paris). Mais, quoiqu’il en soit, Auguste Rodin n’aurait pas solutionné un fait sculptural ainsi… par une forme ‘hyper réaliste’ : -des têtes grandeurs nature, -des corps ‘au garde-à-vous’ perchés sur des chaises d’écolier, -et surtout… sans socle ! 

Il convient de souligner que Davide Dormino, ou les organisateurs partenaires, ont fait le choix de présenter une sculpture de bronze ainsi que le panneau d’indication voisin ; c’est-à-dire, sans estrade, sans tribune ou podium, donc sans soclage...

A propos de cette œuvre d’art contemporain, la belle idée de départ était d’organiser des événements solidaires de convergence pour chacun, afin de permettre une participation concrète. Avec des moments annoncés de rendez-vous où les citoyens arrivent à la sculpture pourvu d’une chaise personnelle, pour des ‘manifestations silencieuses’ et des prises de vue à publier sur les réseaux sociaux.

Il est dit aussi, par ailleurs : « une quatrième chaise a été volontairement laissée vide pour que chacun puisse s'exprimer ». C’est moi qui le souligne.

Autant d’engagements offerts à l’appropriation collective pour les hommes de bonne volonté… permettant de mieux faire sortir de la marginalité les prises de risque de héros modernes. – Sorte de culte à des icônes contemporaines, peut-être ? Mais par ce type de sollicitations ne devenons-nous pas ainsi les organisateurs, acteurs, voire complices de quelques périlleux paradoxes ?

Et, dès le deuxième jour, dans ces conditions d’exposition et de sollicitation, voici ce qui n’a pas manqué, hélas :

Sur des sculptures noires – bronzes de qualité patinés à l’italienne – ceci va de soi… no comment !  Car si l’on en juge selon les considérations de métier, il y a fort à parier que le nettoyage de ce vandalisme…  altèrera l’intégrité originelle de cette œuvre d’art. Il faudra prendre le temps de sabler, puis, de bien repatiner !

3 lanceurs d’alerte… tagués  =  exposition coulée ?!

Premier TAG !!! (d’appropriation), ou graph ??? (à succession), sans doute avec quelque réplique crétine !… Suivi de nouvelles répliques (inopportunes) à la réplique précédente ? Car d’évidence, dans un lieu si ‘vivant’ de la capitale, c’est le type de logique de violence urbaine qui peut se mettre en place.

Résultat minimum : une casse du calendrier d’exposition présent ou à venir. De fait, l’exhibition de la sculpture a duré moins d’une petite semaine à Paris ;  je l’ai relevé et déploré plus haut.

– Ah, si l’on en parle, a-t-on dû se dire chez REPORTERS SANS FRONTIERES ; non seulement la piste est ouverte à d’autres vandalismes de cette icône actuelle (si l’on prolonge l’exposition),  mais aussi, c’est le cocasse qui va s’installer…

– Faisons le dos rond  !... au risque d’une certaine remise en question de la forme d’Anything to say, dont on a rien ‘à dire !?

Or ceci est paradoxalement inconsistant – voire, au antipode du traitement médiatique des ‘vandalismes’ à répétition ou faits divers du nationalisme versaillais… sur le Tapis vert du Château (avec le dit « Vagin de la reine » cf. précédent billet).

Autre remarque générale, se peut-il aussi que cette sculpture d’airain à Edward Snowden, Julian Assange, et Chelsea Manning ressemble aux mimes de nos rues, à s’y m’éprendre… Concept de figuration stable, telles de vraies sculptures, mais qui sollicite l’obole des passants ?

Un Yogi faisant la chandelle… je ne sais combien de temps en état de ‘pleine conscience’ dans l’indifférence quasi générale, parmi les jeux divers ! Prises de vue entre la sculpture aux ‘3 lanceurs d’alerte’  Anything to say ? et les sculptures cinétiques de Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, Fontaine de la place Stravinsky à Beaubourg.

Assurément, tout se vaut sur cette place : -un fait central de société… et son articulation plus ou moins marginale ; -l’importance suprême de l’être, quelque attraction respectable de cirque… et son image captée dans le bourdonnement ordinaire ;  -la part d’émerveillement, d’excellence artistique qui inspire le respect… et le buzz machinal qui nous unit en tout. Car c’est un lieu d’expression citadine, de liberté !

‘Au fond qu’importe !’ ont pu se dire les autorités de l’ordre public à la Ville de Paris. –‘Nous vous donnons l’autorisation de placement sur l’esplanade, mais décalé sur une voie de passage au côté du Centre Pompidou. Libre à vous de fonder un événement de résistance citoyenne (à ces demandeurs d’asile) !’,  car ici, tout se côtoie :

-la Liberté d’expression nécessaire ;  -la Culture et la communication de la dignité humaine ;  -ses valeurs morales et même, peut-être… -la raison d’Etat !

Reste à savoir si la sculpture de D. Dormino, n’aurait pas mieux témoigné culturellement d’une France accueillante, sans vandalisme si elle avait été mieux ‘soclée’ pour les événements citoyens, placée sur fond de résistance. Par exemple, symboliquement, à l’entrée de la rue Soufflot (escamotant par une estrade à gravir… la fontaine du carrefour) ?  Car il y a peu,  rappelez-vous : – « Aujourd’hui, la France a rendez-vous avec le meilleur d’elle-même !  Ils étaient quatre (…) » !  François Hollande (le 27 mai 2015) cf. bilet Résistance, j'écris ton nom.

Raison d’Etat ou pas, on honorait  « quatre Résistants…  » dans la lumière de la Sorbonne et du Panthéon…  bien à l’image d’engagements universels :