L’Atelier du peintre du M’O 4/4 - B&C

Suite des analyses visuelles ‘après restauration’ :

10) – B Le grand châle

Prenons à présent un autre et plus vaste détail, peut-être assez significatif des transformations subies par l’œuvre dans son ensemble; nous comparerons les états ’avant et après restauration’ par zones successives en corrélation:

A gauche: ce visuel en ‘sépia révélateur’ met en évidence la magistrale mise en espace par Courbet de la beauté mystérieuse de deux natures de couple. Pour la composition chromatique, deux niveaux de complexité de dessin se répondent en écho spatial. D’abord scrutons la broderie décorative du châle de la femme élégante au premier plan (portrait présumé de Mme Sabatier); puis nous analyserons celle de la simplicité florale de la jeunesse amoureuse…

A droite, mise en évidence des deux surfaces analysées ci-dessous:

En haut à gauche, état N&B avant restauration: morceau de peinture des plus superbe! Plus qu’un jeu de couleurs ou une simple broderie, cette composition est l’introduction à ceux «qui vivent de la vie»; à partir du motif végétal en corne d’abondance une brassée florale bleue s’épanouit en spirale, tandis que le pli ascendant du châle se resserre au sommet.

En haut à droite, après restauration: l’état actuel N&B fait de l’effet car les noirs sont plus puissants; mais on s’aperçoit très vite d’une déstructuration qui fragmente la continuité décorative des motifs. Paradoxalement, l’ensemble du rabat en triangle paraît plus plat.

Au centre, ci-dessus, résultat de la restauration, l’image différentielle numérique établit en jaune, les tons clairs manquants. Ce qui correspond à 5,37% du travail virtuose de Courbet, perdu en ce carré. Sur la peinture, le dessin des bleu-gris, bleu-canard et jaune d’or a été usé. Si nous faisions ce calcul pour chaque couleur en CMJN, gageons que nous mettrions en évidence des manques plus importants encore !...

 L’examen de cette splendide composition colorée du couple de collectionneurs visitant l’Atelier – décrit par Courbet en ces termes: «une femme du monde avec son mari, habillée en grand luxe» – nous amène donc à conclure à une dévalorisation esthétique du grand châle !

10) – C Portrait de la jeunesse amoureuse

Examinons ensuite le jeune couple dit «couple libre». Morceau de peinture figurant deux amoureux, deux existences selon un contrepoint clair-obscur d’une extraordinaire unité (clair sur sombre et sombre sur clair); c’est la représentation ineffable d’un mouvement d’attraction entre deux êtres:

Le voici en ‘sépia révélateur’: «Dans l’embrasure d’une fenêtre, deux amoureux qui disent des mots d’amour» écrit G.Courbet; extraordinaire figuration emblématique de l’inclinaison de la jeune femme en robe claire (bleutée), forme légère, vaporeuse, captée ou révélée par l’insistance douce et enveloppante du jeune homme.

Donner vie et chair, par la peinture, à des mots d’amour en focalisant l’attention sur le léger glissement du bracelet au poignet… depuis le creux du bras jusqu’à une main droite, immense… ‘petites notes de pinceau’ dans une zone d’interface aérée. Pour manifester un tel sens des qualités spatiales, il faut assurément le métier d’un Courbet, son art des vérités suggestives. Comment les concepts grossiers de «lisibilité» ou de «visibilité»seraient-ils ici pertinents?

En haut, ou en bas à gauche, état N&B avant restauration, morceau magistral. Cette image de la fusion amoureuse va au-delà des mots… Observons comment le peintre évoque le mystère et la complémentarité de ces deux êtres. Regardons. L’inclinaison de la nuque de la jeune fille est moelleuse et souple (‘contact gras’, dirait-on); le col clair, l’accent du pli de la manche, ou même celui sur la poitrine, etc., y sont plus que définis. Tels, ils orientent l’attention sur ce tout petit vide entre les amants qui se rapprochent; mais aussi sur l’art d’une découpe en contrejour, un exemple de ‘flou artistique’. De tradition d’atelier – il peut avoir marqué Degas, Manet, les Impressionnistes, puis Seurat, et même bien au-delà!

En bas à droite, N&B après restauration, état qui paraît être une ébauche – moment où les parties principales d’un sujet sont ‘simplement indiquées’ avant sa réalisation finale. On croirait voir ici l’état de première élaboration formelle de cette œuvre! Par exemple, observons le trait de pinceau qui dessine la nuque ployée ou fixe sommairement la place de l’œil. Presque tout y est sec et raide: les regards creusés, excavés; les visages incorrects; et l’épaule du jeune homme semble étonnamment scindée… Assurément, la stupidité de cet état bancal aurait été la risée des contemporains de Courbet!

Deux images résultant des algorithmes d’un différentiel automatique;en haut, en jaune, mise en évidence des pertes de glacis et vernis, jus coloré et vernis, par-delà un décrassage justifié.

En bas, le climat général ayant été gommé, apparaît ici le renforcement des tons foncés, en contraste. En ce carré, ces différences objectivées en fausses couleurs correspondent à un écart à 61,77% entre les états N&B, vus précédemment.

De telles différences de construction formelle constituent une des résultantes de la ‘restauration esthétique’; elles peuvent être formulées en pourcentage par un système numérique expert. Le dossier de presse préalable (en p. 8) évoque des «restaurations anciennes [qui] se sont altérées au cours du temps comme sur le visage de Juliette Courbet». Comment pouvoir en juger? En l’absence de précisions objectives et complètes à ce sujet, force est de reconnaître que parmi les éléments effacés par la restauration figurent les traces d’un travail manifestement si créatif qu’il ne pouvait être que celui de la dernière main de Gustave Courbet. Or aujourd’hui cette conception visuelle d’ensemble vient d’être irrémédiablement perdue sous prétexte de corriger des ‘altérations’ et de rétablir une ‘lisibilité’…

Etat après restauration, détail plus vaste –visuel réglé dans la salle du musée. Virtuellement, l’éclairagiste paraît y avoir reconstitué une sorte de vélature, un mélange optique doux et chaud? Or, cet artifice de température (couleur-lumière), malgré l’enchantement recherché, ne peut nous empêcher de constater une dépréciation inappropriée de la forme plastique. Par exemple, il est facilement observable que la robe de la jeune fille (Juliette Courbet) paraît dorénavant être lourde et tachée… –bonne pour une visite chez le teinturier!

– Si on accorde crédit aux mauvaises quadrichromies récentes, sur la joue de Juliette un repeint pouvait se discerner (signe d’une joue rougissante ?). Or, avec cette opération nouvelle, c’est l’ensemble de ce portrait de la jeunesse amoureuse dans l’Atelier qui a beaucoup perdu de son jeu énigmatique dans l’espace et de sa singularité picturale ;  il a subi une nette dépréciation de sa présence mystérieuse…

Le dossier de presse l’affirme: «Des détails sont de nouveau visibles. Un émerveillement pour les spécialistes.»[sic] Intéressons-nous donc maintenant au couple d’amateurs visitant L’Atelier du peintre (les Sabatier).

– à suivre…

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