« Restauration » « rénovation »
ou volonté de puissance ?
Voici qu’en ce début d’année, le musée du Louvre annonce vouloir procéder à la ‘restauration’ du Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci : un tableau en parfait état de conservation et de présentation.
En l’an 1568, Giorgio Vasari écrit :
« Léonard fut vraiment admirable et céleste. […] A la manière courante de peindre à l’huile, il ajouta une obscurité particulière dont les modernes se sont servis. […] Et c’est un trait merveilleux de son génie que, désirant donner le maximum de relief à ce qu’il faisait, il recherchait les ombres les plus épaisses et les fonds les plus obscurs au moyen de noirs [de combustion] donnant des ombres plus foncées et paraissant de plus en plus sombres afin que, par contraste, les clairs semblent plus lumineux ; mais de cette façon, il arrivait à des teintes si sombres que l’ensemble paraissait fait pour imiter la nuit plutôt que les nuances de la lumière du jour. »
Or voilà qu’en l’an 1980, on commence avec Michel-Ange :
Déjà, des « restaurateurs fanatiques » à Florence ?… puis à Rome, au Vatican ? – Est-ce possible ? En effet, bien mis en perspective, il peut apparaître que s’amorça, avec la « restauration esthétique » des peintures de Michel-Ange Buonarroti, le principe fondateur d’aujourd’hui : en 2016, l’annonce banalisée d’un « À QUAND LA JOCONDE » ; car au fond, cette volonté d’intervention sur le ‘portrait’ de Saint Jean-Baptiste est pour le moins étrange.
Tableau ‘insondable’ peut-être pris au plus profond de l’expression de l’être humain, il apparaît ange et démon, venue messagère dans l’émergence : « miroir fidèle de la crise de l’humanisme, exemple de cette autonomie de l’art et de la science sur laquelle s’est fondé la civilisation moderne » Lionello Venturi, in Les Peintres célèbres, 1948. C’est assurément l’une des parts essentielles… du dernier Léonard de Vinci : – « jusqu’à son dernier souffle, la grâce fut sa compagne » dit l’écrivain. Peinture ‘sombre’ en vérité (de nature philosophique et physiologique ?) ; – « il a fait des figures qui ne sont pas tout à fait naturelles… » ; – Chef-d’œuvre entièrement de sa main (69x54 cm), des années 1513-16… ; – voire même peinture vernie à Amboise, en 1519 ? Quoiqu’il en soit, peinture ‘offerte’ ainsi qu’un testament final.
Et voici que la provocation d’intervention est aujourd’hui telle que l’on peut lire, de-ci de-là, dans la presse : « Toucher à un millimètre carré de ses œuvres peut déclencher l'hystérie. Ce fut le cas en 2011 avec la restauration de la Sainte Anne du Louvre ».
Dès lors il faut, hélas, reparler de l’exaltation frénétique et autoritaire des dites « restaurations esthétiques » en peinture.
Revenons donc aux origines de la démarche. D’entrée de jeu, il était énoncé pour la chapelle Sixtine : les spécialistes ad hoc partent d’un des propos de G. Vasari, le premier des historiens de l’Art. L’on induit : Michel-Ange Buonarroti travaillait « tout à bonne fresque », sans aucune « reprise à sec » ; en fait, ceci était une approche dogmatique et quelque peu ‘littérale’ sur une démarche artistique bien plus complexe et géniale…
Or force aurait été de constater, surtout dans une société hygiéniste comme la nôtre, qu’en Art visuel, c’était une lecture volontariste… très réductrice et pour le moins abusive, puisqu’il fut question de « nettoyage-restauration » esthétique. D’où, il faut le dire, une interprétation catastrophique des « spécialistes compétents » de Michel-Ange (comme de Léonard) – une lecture qui nous a trompés au moins sur trois aspects :
1 - les salissures effectives de la chapelle Sixtine et de leur nettoyage absolument nécessaire ; 2 - sur le fait du non usage à sec d’une couleur noir de fumée mêlée de colle, manifestement posée au pinceau, par le maître… (l’encre de chine, par exemple, est un noir de combustion nécessaire au calligraphe) ; 3 - l’importance des repeints postérieurs au travail a fresco, puis ‘a secco’ de Michel-Ange Buonarroti (cf. Alessandro Conti, in Michel-Ange et la peinture à fresque, éd. La Maison Usher, 1987).
En l’occurrence, quelle a été la position des ‘spécialistes’ français de la Renaissance italienne et du musée du Louvre, en particulier, à ce sujet ? Car en ce domaine des « restaurations esthétiques », il y a hélas un effroyable précédent.
Un vaste projet, fondé en 1977 ?
En France, est-ce un hasard si l’Institut français de restauration des œuvres d’art (l’IFROA), à peine fondé, engendre une cohorte de ‘restaurateurs/trices’ (profession essentiellement féminine), qui ‘affligea’ les peintures de la Renaissance italienne, puis française, d’une politique de restaurations dont on peut questionner… l’utilité.
En 1980, première exposition importante en France sur « la restauration ». Or, grâce à la propagande officielle, reprise par les médias, et au principe nouveau des subventions privées, en attente d’un retour sur investissement immédiat, advint l’opium du tourisme ! Et c’est alors le biais d’une société de consommation qui cultive notre avidité… Le succès public permit ainsi un développement considérable des dites « restaurations », pas toujours nécessaires, ce au détriment de vraies activités culturelles d’éveil… Or, dans notre monde occidental – en ces moments de crises sensibles où la télévision et les médias prennent le pouvoir du désir, de l’imaginaire et ordonnent les vérités au quotidien – nous avons tant besoin d'imaginer qu'il y a au moins un espace de Beauté non altéré au musée.
Ainsi, nous voyons d’une part : une télévision japonaise finançant le nettoyage-purification de la Chapelle Sixtine ; d’autre part, en France, au musée du Louvre, un hebdomadaire de programme Télé partenaire du bouleversement complet « en public » des Noces de Cana de Paul Véronèse (1989-1992).
Toutefois, il est remarquable que la Commission nationale de restauration du 20 mai 1992 ait ajourné une mise sur le métier des Léonard de Vinci dont La Sainte Anne, La Belle Ferronnière, etc. (essentiellement grâce à la naissance de l’ARIPA, car forte d’un comité d’artistes de premier plan et de rencontres avec le directeur des Musées de France). En effet, il y a 24 ans, au Louvre, d’identiques éléments de langages étaient déjà au pouvoir avec d’évidence La Joconde en ligne de mire …
Or parmi les œuvres présentées à l’exposition en 1980 : les Maniéristes romains, peintures de conception et de goût sous influences de Léonard et de Michel-Ange !
Et par la force de l’internationalisation des expositions, c’est l’ensemble de l’Ecole maniériste qui fut – systématiquement – compromise… par l’enlèvement des saveurs noires qui la caractérisait. L’on a pu ainsi « découvrir » des œuvres à effet coloré ‘fauve’ en écorchant leur vélature… C’est-à-dire, l’épiderme foncé des tableaux : l’obscur plus ou moins ténébreux des peintures et le réglage final du travail de la première moitié du XVIe siècle.
Pourquoi ? Comment ? A partir de quand ? Dans quelle perspective ?
Pour faire bref, disons que les fondements de la restauration à la française se sont mis en place sous la direction de René Huyghe avec Jean-Gabriel Goulinat. C’était une conception relativement modérée de non interventionnisme en nuances, qui prônait, au cas par cas, l’allégement des vernis plutôt que le dévernissage. Elle s’inscrivait comme une alternative au radicalisme des restaurateurs fanatiques… En effet, à la suite de controverses, les français se contentaient de soustraire les vernis surajoutés (popote d’entretien et bichonnage), dit « jus musées, modernes ». Epoque où le discours des historiens de l’art français s’occupait de considérations humanistes, psychologiques et sociologiques dont l’Art témoigne… Donc, manifestait un sens critique et une attention à cent lieues de l’esprit technocrate !
Ils étaient dit : ‘nuancés’ et s’opposaient à l’école des ‘totalitaires’ de tendance positiviste, dont le pape en restauration était Helmut Ruhemann ; un dogmatique allemand émigré en Grande-Bretagne… Celui-ci mena ses applications (de 1939 à 1972), à la National Gallery de Londres, sans égards ‘vrais’ pour la vie complexe des œuvres d’art ; faisant prédominer à toute autre considération, les données techniques des Rayons X et de la physique-chimie. En l’occurrence, il paraît être le représentant de l’idéologie de la société industrielle moderne pour laquelle, en art, les pouvoirs de la « technoscience » justifient toutes les interventions sur notre héritage. Il disait par exemple que, même si on rapportait de traditions d’atelier que « Titien et Rembrandt finissaient leurs tableaux avec des glacis vulnérables, c’est-à-dire avec des couches de matières picturales à base de résines molles, facilement solubles, […]. Ils étaient trop intelligents pour employer quelque chose d’aussi vulnérable pour la surface, là où les glacis seraient les premiers exposés à un accident. » The Cleaning of paintings, Londres, 1968.
A cette conception, s’opposait Sir Ernst Gombrich :
– « S’il faut être conservateur, c’est tout simplement parce que cette précieuse interaction est peut-être moins perturbée par les changements lents et inévitables dus au temps que par les ingérences brutales.
« Bien sûr, quand la structure elle-même est menacée de disparition, nous devons intervenir et sauver ce que nous pouvons de la ruine. Quand le vernis devient opaque, il faut le retirer. Mais ne devrions-nous pas tous être d’accord pour considérer que le but doit être la conservation de notre héritage aussi longtemps que possible, plutôt que la restauration d’un état irrémédiablement perdu ? » Variations sur un thème de Pline, in Burlington Magazine, février 1962.
Raymond Mason me disait qu’alors, les meilleurs artistes britanniques et Balthus, en France, s’étaient « levés comme un seul homme, lorsque des tableaux de la National Gallery et certains Watteau de la Wallace Collection avaient été massacrés ». Ce à quoi Ruhemann répondait : – « On a de tout temps proféré beaucoup de sottises et il ne faut pas considérer la remarque désinvolte d’artistes comme une opinion réfléchie »
A cette époque en Italie, Cesare Brandi (depuis 1955 le véritable théoricien moderne de la restauration à l’Istituto del restauro de Rome) soutint, dans ce débat-controverse, dite ‘Querelle des vernis’, que les œuvres de la peinture italienne sont enrichies d’une « vélature délicate » : glacis de la dernière main du peintre dans la tradition ancienne et de vernis teintés dès les origines afin d’adoucir et mettre à distance spatialement les accents de vivacité des couleurs pures qui ont leur jeu d’autonomie visuelle propre. – Relativement, un jaune rayonne, un rouge se dilate et un bleu éloigne…
Alessandro Conti (disciple le plus prometteur de Brandi et Longhi) relève dans la discussion que j’ai pu avoir avec lui (en 1988) que la formation trop technicienne et rapide des restaurateurs et des conservateurs ayant eu à gérer les dégâts, après la crue de l’Arno à Florence et en Toscane (en 1966), a créé ensuite un élan fatal de restaurations non seulement conservatoires… mais aussi attractives par une remise sur le métier de peintures anciennes, en vue du tourisme de masse. On va dès lors préférer intervenir, sans réelle nécessité… – pour l’effet esthétique et les retombées médiatiques – sur des œuvres majeures puisque celles-ci engendrent : fréquentation, attention nouvelle de sponsors, et manne financière ; « tout se vaut puisque le marché dicte sa loi » !
Et le peintre Carlo Guarienti de déplorer (en janv. 1992) : « Il y a, dans ces choses là, trop d’intérêt qui courent ».
Dans leur combat, des professeurs d’Université – spécialistes de l’Histoire de la restauration ou de la Renaissance –, Alessandro Conti et James Beck, de la Columbia University, remarquent que, déjà, le sort du Michel-Ange paraît avoir été scellé pour La Chapelle Sixtine au Vatican dès l’intervention sur Le Tondo Doni au Musée des Offices de Florence. Naît dès lors l’idée, toute dogmatique, d’une tautologie mise dans la bouche du Pape : – « des choses qui ont de belles couleurs on dit volontiers qu’elles sont belles ! ». Sorte d’infaillibilité pontificale qui retire à Michel-Ange Buonarroti le droit de s’être trompé, car il s’y est repris à sec, après l’étape à fresque (sur le mortier frais) ; époque de « l’introduction du doute dans la pratique du langage pictural ».
En France, le penchant pour les grandes rétrospectives date de l’exposition : Georges de la Tour (en 1972), dont il institue le principe – encore secret – de manipulations de l’intégrité du patrimoine pictural ; en l’occurrence, celle du climat spatial, rectitude optique des lumières et des ombres…
avant (grand détail de gauche) et après = différence
En haut : avant restauration, en bas détail après
Image de différence en dessin perdu = 6,04 %. Or les éléments en moins (rose carmin) paraissent des usures provoquées au solvant… – et ce sont des éléments rationnellement nécessaires à la signification du sujet. Elément exemplaire de la « restauration » de L’Adoration des bergers du Louvre (en 1963-1965), déjà bien évident sur ce petit fragment carré ; ce qui démontre l’influence de l’école ‘anglo-saxonne’ au sein des ateliers du Louvre ; une intervention étonnamment longue, d’ailleurs !… – Conduite comme un ballon d’essai sur une œuvre célèbre, lors de la redécouverte internationale de Georges de La Tour ?
André Malraux émet (en 1950), quelques remarques essentielles, propos inscrits dans la querelle des ‘totalitaires’ et des ‘modérés’, lesquels sont idéologiquement valables 20 ans durant – car favorables à l’Ecole française tempérée –, mais devenus minoritaires actuellement :
« Un Monet plus multicolore et, souvent, plus ensoleillé qu’un Rembrandt, n’est pas plus lumineux. […] Le vernis des musées n’est devenu intolérable à leurs conservateurs que quand la peinture est devenue claire… ».
La monnaie de l’absolu, Albert Skira éd.
Mais voici que la création de l’Institut français de restauration des œuvres d’art en 1977 (IFROA) sera gagnée par l’interventionnisme… et formatrice à un goût ‘nouveau’ de spectacularisation des œuvres majeures anciennes : considérées « comme gisement culturel à exploiter » (propos dans l’air du temps, d’un Directeur des musées de France).
A cet égard, il convient de comprendre que la publication du livre : Le secret des chefs-d’œuvre, en 1965, suivi de « La Science au service de l’art » (exposition au Grand Palais en 1980) vont déjà dans l’idée d’une appropriation nouvelle des œuvres et d’une volonté de puissance exercée sur celles-ci…
Une approche technique, très fascinante, présuppose que le fait d’explorer la matière pour comprendre – ou de croire comprendre – implique presque d’avoir réalisé l’œuvre originale !
En 1980, comme dit plus haut, première exposition importante en France sur la ‘restauration’. Le principe d’effet sur bon nombre de Maniéristes romains paraît ouvrir la voie. Or commence cette même année le nettoyage vedette de la Chapelle Sixtine...
L’équivalence monumentale, côté musée du Louvre, sera, dès lors (en 1989-1992), la « restauration en public des Noces de Cana », de Paul Véronèse.
Internationalement, le ‘pictocide’ est ainsi lancé… Opérations dit-on : « de nettoyage, de purification d’une œuvre dénaturée, et d’un devoir d’allégement des vernis oxydés et irréguliers permettant de retrouver les couleurs et l’éclat du tableau » (ce sont toujours les même mots, du par cœur, les mêmes formules ‘imparables’ rhétoriques).
Mais jusqu’alors, l’école française de restauration était globalement bonne. Mais des manquements et partis-pris outranciers de plus en plus généralisés ont fait naître de vrais doutes et inquiétudes ; mais, pour apporter un complément de compétence indispensable : l’Association pour le respect de l’intégrité du patrimoine artistique (l’ARIPA) fut nécessaire. Or revenons à la réputation sage, doctrine officielle ainsi que J.G. Goulinat a bien voulu la définir :
« Sous aucun prétexte le restaurateur ne devrait retoucher ; et par retoucher, il faut entendre : faire déborder volontairement ses raccords sur les parties saines du tableau. Quant aux enlevages de repeints anciens – pratiqués après coup [...] ce sont là autant de cas d’espèce qui ne doivent être traités qu’avec la plus extrême prudence. [...]». Mais « sous aucun prétexte le restaurateur ne doit dévernir une peinture à fond. Cette difficile technique du dévernissage progressif permet de conserver une mince pellicule du vernis le plus ancien. Ainsi la couleur elle-même ne risque pas d’être compromise, non plus que les fragiles glacis dont elle est peut-être rehaussée. – Cette prudence répond aux vœux maintes fois exprimés par les maîtres anciens (et plus près de nous par Ingres, qui assurait que l’évolution des vernis ‘achèverait ses œuvres’, en les parant d’un léger voile doré.) [...]
« Je ne crois pas trahir l’opinion de la majorité des artistes en avançant que, pour eux, le rôle du restaurateur devrait se limiter aux interventions suivantes, qui nécessitent d’ailleurs autant d’habileté et de science que de sensibilité : 1) le dévernissage léger : dévernissage progressif, respectant absolument l’épiderme du tableau ; c’est-à-dire le vernis d’origine (si possible) et (dans tous les cas) les glacis ; 2) le revernissage, après un minimum d’interventions secondaires jugées indispensables, telles le rebouchage des crevasses ou des parties manquantes et l’exécution des raccords (...)».
Xavier de LANGLAIS,
La technique de la peinture à l’huile -1959, éd. Flammarion.
Mais voici que dans la pratique, la ‘restauration’ des Noces de Cana de Paul Véronèse au musée du Louvre s’est jouée de cette éthique professionnelle exigeante, ainsi que le relate le compte-rendu du 5 décembre 1989 (extraits) :
« M-A. B. insiste sur le fait que le nettoyage est très difficile car les repeints sont très durs à enlever. Il n’y a que l’ammoniaque qui soit efficace, et l’on risque d’abîmer la couche picturale en insistant pour enlever les repeints. [La restauratrice] pensait donc ne pas enlever tous les repeints et ensuite ajouter des points de retouches par dessus les résidus de repeints ou de vieux vernis laissés au creux de la matière parce que trop durs. (...)
« G.L. pense qu’il faut donc tout purifier en une seule fois ; il faut travailler par zones : les zones peu repeintes pourront être allégées et serviront de référence ; les zones très repeintes devront être entièrement dévernies pour être purifiées, mais selon la suggestion de F.H., le vernis oxydé les recouvrant pourra être récupéré, filtré et reposé sur les zones dévernies lorsque le nettoyage sera terminé. (...)
Néanmoins : « L’effet final sera celui de l’allègement demandé par le département, même si, pour y parvenir, la méthode n’est pas celle de l’amincissement progressif du vernis
Le conservateur en chef des peintures : « estime qu’il est préférable d’agir ainsi, mais s’inquiète de la polémique qui pourrait résulter de la présence, même provisoire, des zones dévernies, donc très claires, puisque la restauration se fait en public. Cependant, compte-tenu des dimensions de la cage vitrée et de la présence de l’échafaudage, chacun s’accorde à penser que le public voit peu le travail en cours. (...) ».
On observe en cela, des techniques identiques à celles de la publicité : faire croire et ne pas faire voir ! Pour autant, la publicité opère-t-elle dans l’irréversible ?
A partir de quoi l’ARIPA a tenté de faire renaître une conscience de responsabilité au sein des restaurateurs et conservateurs, sans remettre en cause leurs compétences fondamentales, lorsqu’elles sont authentiques.
Malheureusement, à de rares exceptions près, les médias ont donné dans la désinformation officielle… En conséquence, aucune Commission parlementaire n’a osé enquêter avant le rapport de 2003-2006. Le titre de celui-ci, cependant, laisse à désirer : Les techniques de restauration des œuvres d’art et la protection du patrimoine face aux attaques du vieillissement et des pollutions (rapport n°3167, enregistré le 15 juin 2006 à l’Assemblée nationale). Il ne contient point de réprobation à propos de certains pharisianismes, dont le compte-rendu cité ci-dessus n’est, hélas, qu’un des exemples.
La « restauration esthétique » du Portrait de François 1er de Jean Clouet s’inscrit dans le précédent des Noces de Cana. Sans se douter peut-être que les vernis – « dont l’or léger est exceptionnel » (élément perçu et salué par les yeux avisés d’un G. Goulinat) – ont été enlevés, dans une politique assimilable, l’on a confié à la même restauratrice une autre peinture : « sans problème de structure, en bon état », la Belle Ferronnière de Vinci.
Pas de réprobation sur la place publique ! Ni avant bien sûr… mais ni après objectivement. Or à présent, nous semble-t-il, celle-ci donne une impression morbide ou froide dont le timbre sonne faux. – Qui le dit ? A ma connaissance, aucune voix ne s’est élevée… Et voici que le beau visage ‘de duchesse’, de ‘grande dame’, est devenu un petit visage poupon, à l’expression étriquée… et d’apparence toute craquelée sur les joues ; ce, en lieu et place d’une réalité sublime et charmante, assurément bien plus subtile avant d’un point de vue pictural, spatial et optique ? Même le trompe-l’œil du parapet paraît faux.
Pour en juger ‘rationnellement’ et ‘artistiquement’, en toute équité, il conviendrait de pouvoir effectuer des examens critiques comparatifs, non seulement avant intervention, mais aussi pendant, et après celle-ci. – Quelle sorte de praticien oublierait les examens post-opératoires sur son patient pour s’assurer que tout est bien (s’il est encore vivant) ? Dans l’optique actuelle, « avant restauration », certains pensent peut-être l’œuvre ‘morte’ et la restituent… comme embaumée de belles couleurs… et plus que formellement fardée.
Revenons à l'enjeu actuel :
Au début de 2016, peut-on dire que le goût du vernis de Léonard soit à nouveau au musée du Louvre ? C’est-à-dire le principe de banalisation d’une opération qui a de quoi inquiéter, car il se pourrait fort que l’on nage ici dans ‘le sfumato’ d’une intimidation…
« Notre objectif est d’améliorer la lisibilité de l’œuvre, très assombrie sous des couches de vernis jaunis. On ne distingue plus ni la peau de bête, ni la croix, ni la plupart des boucles de la chevelure », explique-t-on. ‘Selon les analyses du C2RMF, l’épaisseur de vernis s’élèverait en moyenne à 110 microns, deux fois plus que sur la Sainte Anne avant sa restauration’ lit-on, par exemple dans La Croix.
Mais pourquoi vouloir, à tout prix, tout homogénéiser ? Est-ce pour que l’on « ne voie plus la différence » ? Ne peut-on accepter une diversité de climats entre les œuvres exceptionnelles d’un génie qui disparut il y a presque cinq cents ans ? Ne pouvons-nous plus supporter de respecter le temps historique comme facteur de vie ?
Sur les six rares peintures conservées, à Paris, faut-il nier le passage de ce temps curieux porteur de l’ombre d’une très longue mort… Il serait assurément plus juste et plus scientifique de dire : admettons aujourd’hui, qu’avec les peintures du Vinci, nous nous trouvons devant l’inconnaissable, sans compétences véritables ! Assurément, il y aurait même quelque grandeur française à respecter, ici, l’Art (la manière de faire) d’un artiste-chercheur de l’époque de la Renaissance italienne, accueilli par François 1er.
Mais par ailleurs, ne devons-nous pas changer d’époque et de paradigme après la COP21 ? – Quel physicien oserait soutenir que c’est en ouvrant, aujourd’hui, le crâne d’Albert Einstein que l’on va retrouver comment se réalise une bombe H ?
D’autre part, quel « problème » (si c’en est un ?) y aurait-il à laisser intacts les mystères picturaux d’un temps très ancien où : chaque partie est inférieure à la somme d’interactions d’un tout.
On raffole apparemment, chez certains Conservateurs, de la tyrannie du détail : « ni la peau de bête, ni la croix, ni la plupart des boucles de la chevelure » etc., mais qui dit qu’un être comme Léonard – capable d’écrire à l’envers ! – ne cultivait pas, au contraire, un goût pour le « mystère » (nécessité, d’ailleurs, pour se protéger contre la surveillance de l’Eglise et les dangers d’une inquisition...), un certain « hermétisme » de la mise à distance, précisément ?
En Art pictural, la revendication de la « lisibilité » ne cadre pas avec le principe spatial cultivé dans un long apprentissage de la subtilité optique par les artistes. La « lisibilité » est peut-être une exigence des panneaux de signalisation routière, ou de la publicité pour les annonceurs commerciaux… Dans tous les raffinements de la transfiguration des arts visuels, ce n’est pas nécessairement le principe pertinent et fondamental de lecture.
Peut-on convier la conservation du musée du Louvre à un peu plus de modestie sur l’une des traces sensibles, majeures, laissées à la mémoire des hommes ?
– Luttons pour éviter ça : trouvé sur le net, pastiche de Benjamin Lacombe
En réalité, force serait de reconnaître qu’aucun des arguments exposés dans les médias, Télévision et Presse, ne tient objectivement dans l’hommage à Saint Jean-Baptiste :
- l’épaisseur du vernis bien mesuré ;
- le concept de « lisibilité » avec : croix, peau, boucles, etc.
- voire notre « devoir d’appropriation »…
Et qui dit que le dernier Léonard, dans la proximité de sa mort (le 2 mai 1519), ne joue pas de ses souvenirs passés pour une certaine invisibilité ?
Certains historiens ont affirmé que le modèle était l’amant ‘beau comme le diable’ : Salaï ! Ne serait-ce pas une raison suffisante de mise à distance… nécessaire ?
Mais aussi, certains mystiques rapportent l’existence d’un climat assimilable à celui du Saint Jean-Baptiste, par exemple : « Le stade final du processus de dissolution, au moment de la mort, est caractérisé par l’expérience de ténèbres marquant la phase du ‘plein accomplissement’. Elle est décrite comme un ciel plongé dans l’obscurité avant l’aube de la luminosité fondamentale. » A son époque, « le divin Léonard » (qualificatif d’une personnalité omnisciente à la Renaissance) est célébré, comme l’un des plus fins savants de son temps, ayant le génie et la faculté de visualisation métaphysique des pensées en peinture et dessins. Et Benvenuto Cellini invoque à cet égard le témoignage du roi de France François 1er en personne, d’un « Léonard, non seulement sculpteur, peintre et architecte, mais encore un philosophe ; car c’était un très grand philosophe. »
Une approche sensible des œuvres d’art et de la pensée ne semble pas le fort (au regard du contenu des quelques dossiers d’œuvres consultés) du C2RMF. Lieu où l’on préfère, à toute autre forme de considération, d’évidence une approche par les sciences dures (physique, chimie).
Avec tant de spécialités scientifiques, approche-t-on de « l’obscure caverne et désir de voir » de Léonard ? Et à son désir de rendre l’expression de l’âme ?
« Léonard créa un espace que l’on n’avait jamais vu en Europe, et qui n’était pas seulement le lieu des corps mais encore attirait personnages et spectateurs à la façon du temps coulant vers l’immensité. » André Malraux Le musée imaginaire, Albert Skira éd., 1947.
Reste le principe bouclier du jury ad hoc. Il y a peu de lieux, en démocratie, où règne un tel pouvoir discrétionnaire. Si peu de gens peuvent se dire compétents que c’est un véritable cénacle où ils sont à la fois Juges et parties. On y retrouve les personnalités « spécialistes »… ayant donné leur aval à la « restauration » des Noces de Cana, du François 1er de Clouet, de La Chapelle Sixtine, des Raphaël du Vatican, par exemple.
N’est-il pas remarquable dans l’article du Monde (cf. La Belle ferronnière de Léonard de Vinci se refait une beauté) que la visite organisée au deuxième étage du Pavillon de Flore, domaine du C2RMF, soit un véritable passe-droit réservé à de rares élus ? Et que les journalistes soient placés devant un chevalet, sorte de mise en scène de spectacle, peut-être à l’image de tout ce que produit le monde actuel ?
- Situation de ‘dévoilement’ au moment où le travail partiel de restauration permet la présentation d’un contraste défavorable aux surfaces dorées du vernis, qui produit ainsi le maximum d’effets d’optique…
- Situation où la pensée critique individuelle se trouve, soit du côté de la force des choses, soit dans l’exclusion ;
- Situation où l’on est confronté à des propos sommaires, voire absurdes, comme, par exemple : « Il ne s’agit pas d’une restauration qui sauve l’œuvre ». Cela revient-il à dire que toute personne qui a admiré ce tableau jusqu’à présent, que tous ceux qui nous ont transmis une œuvre si fine et sensible se sont donc trompés, n’ont pas su voir ?
La restauration est donc « esthétique » ? De la part des interventionnistes c’est un esthétisme qui paraîtra quelque peu pervers, s’il a pour objectif de produire une affiche publicitaire !
Les oppositions en 2016 ?
N’est-il pas important que Jacques Franck, spécialiste de la technique de Léonard, appelle à une « grande prudence. Dans cette œuvre tardive encore peu comprise, Léonard ne suggère plus la forme que par des plages d’ombre et de lumière aux frontières indiscernables. Son sfumato pourrait être composé de colorants d’origine végétale ou de vernis teintés, vulnérables en cas d’allégement poussé des vernis. » ?
La raison alléguée par certains conservateurs du département des peintures ou par ceux qui fondèrent l’IFROA (lesquels n’ont fondamentalement pas pris vraiment acte des problèmes provoqués par les restaurations des œuvres d’art) est sujette à caution : « Avec le temps, le panneau est devenu complètement invisible, enfoui sous les nombreuses couches de vernis accumulées au fil des siècles, qui ont viré avec l'âge. […] Un ancien président du musée, dit avoir vu le tableau s'assombrir en l'espace d'une vie. Finissant par s'obscurcir dramatiquement jusqu'à devenir un brouet goudronneux d'où émergent à peine la figure du Saint, un bras que l’on devine sur la poitrine et l'autre levé en direction du ciel […]. Le public ne peut plus distinguer la croix tenue par le Saint, sa peau de bête et ses mèches de cheveux englouties dans les ténèbres. […] Il finira un jour par ressembler à un Soulages ».
Tout scientifique sait qu’il n’y a pas que les matériaux modernes qui se détériorent avec l’âge. Chez l’homme, l’outil le plus sensible, le plus performant et le mieux fait pour la perception du visible, l’œil, atteint ses facultés maxima, à 25 ans. Il s’altère ensuite avec l’âge. Il a besoin de plus de lumière pour voir la même chose, après 50 ans. Enfin, peut intervenir le phénomène de la cataracte (opacification relative du cristallin).
Mais peut‐être suffirait‐il d’améliorer l’éclairage et la présentation des œuvres, voire la muséographie, afin de rendre celles-ci plus délectables ou faciles à regarder ?
Dès l'annonce « Le tableau sera retiré d'ici la fin du mois de janvier des cimaises de la grande galerie. » (Journal des Arts du 14 janv. 2016), j'ai voulu faire un dernier adieu à cette œuvre, un des joyaux de la spiritualité occidentale, mais elle était déjà entrée dans les couloirs de la mort ; les autorités politiques étant alertées, peut-on espérer une vigilance, voire un moratoire :
Contrairement aux affirmations unanimes d’un préalable jusqu’à la fin du mois, le Saint Jean-Baptiste avait déjà quitté les cimaises de la Grande Galerie. Par contre, il est notable que l’éclairage de la zone des Léonard est suffisamment faible pour promouvoir l’idée qu’il faudrait ‘rafraîchir les peintures’. On peut voir, sur ce visuel, que la partie de la galerie, au-delà de la Salle des Etats, conserve son éclairage de visibilité.
Pour l'observateur attentif, il s'avère que la restauration de La Sainte Anne est un échec complet (souligné par le co-président de l’ARIPA, Michel Favre-Félix dans la presse).
Par ailleurs le climat doré et l’innovation d’un reflet rouge sur la joue de La Belle Ferronnière viennent d'être soustraits, sans raison de conservation, au nom d'une idéologie des plus louche.
En cas de restauration effective au programme, il faudra se souvenir que le travail de Léonard, spécialement sur le Saint Jean-Baptiste, a atteint au sommet de ce que l’imagination d’un génie humain a pu produire spatialement dans l’obscur à partir des ténèbres. L’œil est mis en présence de la plus haute complexité du possible pictural...
D’un point de vue physiologique et optique, chacun peut faire l’expérience qu’en entrant dans un lieu sombre, le regard étant encore imprégné par la lumière extérieure, après un temps d’accoutumance, les éléments de détails se révèlent comme existants.
Se peut-il que Léonard ait cherché à mettre en situation cette expérience ? Comme le relève G. Vasari : « il recherchait les ombres les plus épaisses et les fonds les plus obscurs au moyen de noirs ». Voulait-il faire progressivement émerger, par une accoutumance du regard, une certaine clarté intérieure de « transfiguration » ? On ne saurait le dire. Mais devons-nous imposer, cinq cents ans plus tard, notre rapidité moderne à un tableau, témoignage de la Renaissance, époque qui ne connaissait que la nature des jours et la lumière des chandelles ou des bougies ?
« La question de la dureté des contours des bras et des mains demeure ouverte » mais que la ou les personnes qui critiquent, nous montrent comment ils peignent et dessinent. Quant à voir objectivement, regardez plutôt :
Ces quatre reproductions sont sensées informer le public (et le citoyen français) sur l’enjeu esthétique et sur la réalité de la fameuse peinture du Saint-Jean Baptiste de Léonard de Vinci. En haut à gauche : cliché sur le site Internet du journal La Croix, en haut à droite : celui sur le site du Journal Le Monde, en bas à gauche : l’image du C2RMF, en bas à droite : l’état avant restauration présenté sur le site du Louvre, sous la responsabilité des conservateurs du département. Chacun pourra ainsi apprécier l’étonnante diversité des clichés utilisés par des organes d’information...
Une des images possibles sachant que la moindre variation de lumière ou de couleur (teinte ou température) casse l’harmonie d’interaction voulue par Léonard. Je tiens pour impossible d’avoir un jugement ‘vrai’ sur ce tableau, à la limite de l’insaisissable. Il se pourrait que la déformation poussée de la quadrichromie du : Tout l’œuvre peint - Classique de l’Art, Flammarion, ouvrage de référence des conservateurs depuis 1968, occasionne un parti-pris, un ‘goût’ CMJN ! Mais, de même que les luthiers-musiciens savent que la saveur, l’apparence sensible d’un grand violon ne peut être restituée en photographie, de même, cette peinture ne peut être reproduite pleinement, car spécifique à l’image picturale. Elle incarne l’évanescence d’une vision plus profonde qu’une lumière réfléchie sur un miroir d’eau…
Charles Baudelaire, Les Phares, Les Fleurs du mal, 1857 :
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout charger de mystère, apparaissent à l’ombre
(Des glaciers et des pins qui ferment leur pays)
Les autorités compétentes font appel, une fois encore, à deux éléments : le blanc-seing aveugle que nous leur devons, vu la fonction qu’ils occupent, et la confiance dans la modération qu’ils nous garantissent en ayant porté leur choix, après appel d’offre, sur la personne la plus aguerrie. En l’occurrence la restauratrice de « la Bethsabée au bain de Rembrandt, [cette personne] travaillant d’une façon très subtile, ne nettoyant pas trop et en conservant à l'œuvre son moelleux ». Mais qui peut dire que la problématique affrontée sur une peinture texturée soit assimilable à la finesse inouïe d’un Léonard.
A dessein, j’ai mis (hélas !), entre parenthèses, la strophe de Baudelaire : « Des glaciers et des pins qui ferment leur pays », car ce dernier vers, témoignant sans doute du paysage de la Sainte Anne, ne correspond plus, maintenant, ni à la perception du poète, ni à la gradation des effets ressentis par des yeux compétents, attentifs au langage plastique des Léonard de Vinci (cf. l’état de La Joconde et du Bacchus).
Quant à La Belle ferronnière, il est affirmé, après restauration, que l’option choisie entre trois : allègement léger, modéré ou plus poussé a été celle de l’allègement modéré. Comment se fait-il, alors, que le reflet rouge sur la joue gauche – probablement l’un des tout premiers reflets d’un colorant sur une chair humaine – (cf. Pietro Marani), ait été escamoté par la « restauration » ? A cela le Louvre s'est expliqué assez précisément :
Il y avait là à l'origine un glacis de Léonard qui tempérait la couche rouge sous-jacente, établie en préparation pour le rendu de ce reflet. Ce glacis final avait été en partie effacé par un nettoyage ancien. Le Louvre a choisi de le rétablir car ce manque devenait criant une fois le tableau nettoyé : la couche préparatoire trop dépouillée devenait ostensible.
Or ce type de dialectique est assimilable à la formule coutumière ‘ce n’est pas moi, c’est l’autre’. Nous attendons qu’une commission indépendante reprenne les origines de cette rhétorique muséale. Tout ceci révèle que la couche picturale a été atteinte à un niveau de profondeur telle que l’intégrité de l’œuvre a été sujette à de nouvelles manipulations qui induisent à maquillage… (Cette question de l’événementiel en ‘restauration’ fera l’objet d’un billet avec, pour autre exemple, le manteau rouge de l’échanson des Noces de Cana de Paul Véronèse, muté en vert, pour l’exposition de 1992 !)
Par ailleurs l’idée qu’une peinture de Léonard, ou d’un Rembrandt, soit un simple feuilletage d’éléments autonomes, est une absurdité matérielle que tout artisan devrait connaître, s’il a la moindre pratique du passage de vernis et de glacis dans la réalisation d’une œuvre picturale.
Peut-être aussi tout « conservateur » ou « conservateur-restaurateur » devrait s’interroger si, en lutherie par exemple, il n’existe pas de beaux vernis dorés mystérieux – en l’occurrence préoxydés sous certaines lumières, et d’aspect ambré. Or ils ont traversé les âges, ainsi, sont demeurés intacts ; nul n’a eu à intervenir, puisqu’ils sont entièrement cohésifs avec le support, sont transparents, solides (fixes), et souples. Ils ont été conçus pour une fluidité émettant aussi une onde lumineuse…
– Chères restauratrices, chers restaurateurs, allez toucher un ou deux microns d’allègement sur le vernis doré-roux d’un Guarnerius del Gesù, par exemple, avec les petits cocktails de décapants employés manuellement sur les Léonard, et vous mesurerez alors… comment – après un tel traitement « au “micron près” » – l’interaction entre la beauté du violon de référence et le mental du musicien se mettra en harmonie...
Je laisse d’autres compétences que la mienne argumenter sur les fragilités et la magie du timbre en musique…
Suite à ce panorama devenu nécessaire, que dire de plus synthétique en conclusion ?
Vasari rapporte que Léon X commande (en 1514) un tableau à Léonard et que celui-ci commence, tout d’abord, par fabriquer un nouveau vernis… Ce qu’un Pape, homme d’Eglise, ne comprend guère… Le refus systématique et dogmatique d’une prise en considération complète de l’or léger des vernis anciens et glacis fragiles imbriqués… élément du projet pictural et constitutif formel de la peinture artisanale et savante des maîtres de la Renaissance – bel et bien ‘jaune’ ambré dès les origines, tout comme en lutherie – ne pourra que conduire à un nouvel échec, sur ce Léonard de Vinci, si l’intervention commence !
Etienne TROUVERS, 25 mars - 8 avril 2016
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