L’Atelier du peintre du M’O 1/4

Point d’exclamation, point d’interrogation ou… point de ‘communication vraie’ autour du grand Courbet !?  Telle est la question que l’on pourrait poser en regardant les aspects de la communication avec le public, au Musée d’Orsay.

Avant même le début de l’intervention sur L’Atelier du peintre de Gustave Courbet, nous avons alerté sur les risques encourus en un certain nombre d’articles consultables aux dates suivantes : 4, 5, 6 décembre 2014 et 24, 28 janvier 2015.

Officiellement, la direction du M’O affirme que : « des renseignements sous la forme de photographies et de commentaires bilingues relatifs aux interventions effectuées sur le tableau sont présents sur un écran placé à proximité de l’espace de restauration ». Or, entre mai 2015 et décembre 2015, ces fameux ‘renseignements’ me semblent avoir clairement fait défaut.

A peu de temps du vernissage, après ‘restauration’, ébauchons une critique. Elle est encore très élémentaire, documentée par une série commentée d’images captées au musée ou extraites du diaporama public. Observations citoyennes et complémentaires sur :

– les aspects concrets des conditions visuelles au pavillon Amont ;
– les données et méthodes de l’opération ; 
– certaines carences visuelles paradoxales et cruciales  à l’information...

En regard de l’ « Objectif de transparence envers le public »(sic), voyons quelle est la place laissée à qui voudrait percevoir ici la réalité concrète de l’Art pictural. – Soyons réalistes !

Si « Tout est art ? » (point de vue assez partagé par le public d’aujourd’hui), tout paraît relativement simple en peinture… car c’est alors idéologique et sommaire.

Pourtant sont rassemblés autour de L’Atelier du peintre, des ‘restaurateurs-conservateurs’ (quatre pour le support, huit pour la couche picturale), « un comité scientifique constitué de personnalités qualifiées et de spécialistes de l’artiste Gustave Courbet » ;  opération garantie par des « instances collégiales… ».  – Tout ce monde se trouve abrité derrière un bouclier ad hoc, celui du C2RMF (Centre de restauration des musées de France).

De plus, en cette période de fin de ‘réintégration’, on nous explique à propos du grand Courbet « qu’il s’agit d’une restauration complexe » (…) car cette peinture « Courbet l’a reprise lui-même plusieurs fois, [et] de très nombreuses interventions l’ont altérée (…) », etc. Il faudrait, de ce fait, avoir confiance en l’infaillibilité d’autorités spécialistes, dites « scientifiques » au musée. Notons que leurs cautions expertes sont ici étrangement expérimentales.

Toutefois, commençons par sourire ; de mémoire, il me semble que Walter Gropius (artiste fondateur du Bauhaus en 1919) disait :  « Les spécialistes sont des personnages qui répètent toujours les mêmes erreurs. »

Or en voici quelques illustrations offertes par le musée d’Orsay :

1)  La cage de verre (enceinte vitrée)

L’espace est bien trop petit, beaucoup trop encombré, mal commode, insuffisamment éclairé et ventilé.

Or, avec l’expérience acquise au cours de la « La restauration en public des Noces de Cana » (en 1989-92), les problèmes rencontrés dans la Salle des Etats au musée du Louvre (un espace pourtant gigantesque) : il aurait pu sembler que des leçons avaient été tirées…

On disait aussi à l’époque ‘en public’, mais concrètement les autorités compétentes du Louvre pensaient lors de leur réunion du 5 décembre 1989 que : « compte-tenu des dimensions de la cage vitrée et de la présence de l’échafaudage, chacun s’accorde à penser que le public voit peu le travail en cours (…) ».

De fait, rappelons, que l’on a ricoché de paradoxes en paradoxes. Après deux ans de restaurations pour le moins exorbitantes, voire dévoyées, l’immense toile - meurtrie par un double accident –  sera encore restaurée, et cette fois-ci au sens propre du terme, six mois durant… toutes portes closes (voir PDF ci-dessous).

Déplorons, les similitudes affligeantes entre l’époque où on a corrigé Paul Véronèse et la présente opération au M’O sur l’Atelier du peintre de Gustave Courbet ‘en public’:

Dès le projet, en haut : les dimensions de la cage vitrée et la présence de l’échafaudage sont explicitées en deux dimensions, voire énoncée ailleurs en surface : « 45m2 », sur le site promotionnel ;  en bas : mais sans qu’il soit réellement possible au visiteur de voir effectivement… – le travail en cours ?

La logique de l’œil aurait nécessité de vraies possibilités de recul et d’espace… (cf. en 3. Vision globale - billet du 28 février 2015). On nous apprenait aux Beaux-Arts que cette distance était de ‘une fois et demi, à deux fois et demi la hauteur du tableau’ ; et dans le cas du grand Courbet (un rectangle très long), le chef d’œuvre méritait assurément plus… Car, pour de bonnes conditions de travail et de déplacement, une exigence qualitative et matérielle pouvait, par principe de sécurité et de précaution, requérir plus de 12m dans cette Salle Courbet.

– Mais non ! Le bons sens élémentaire n’est pas de la partie avec ces spécialistes !  Ce rappel de base et professionnel existe pourtant pour le public… voici deux possibilités illustrées :

a) - principe de la distance nécessaire pour visualiser un écran de TV/cinéma. La distance = plus de 2,5 fois la Hauteur de l’écran, entre autres, en raison de la luminescence…

b) - schéma de la distance nécessaire pour qu’un observateur capte l’ensemble d’un tableau. La distance x = 1,5 x H  (cf. cours de perspective - Old Droppers).

C’est pourquoi, il existe chez les marchands de couleurs ce que l'on appelle des 'œil de vieux' qui permettent aux ‘jeunes artistes’ vivant dans une ‘piaule’ (espace minuscule) de voir l'ensemble de leur toile, sans recul…

Mais les conservateurs-restaurateurs, traitant des 22m2 d’une toile vieille de 160 ans, se trouvent contraints à l’impossibilité physique d’un recul suffisant pour exécuter un travail complet et convenable de rajeunissement !

– Offrons ici quelques illustrations photographiées ou captées :

En haut : -protégé par une couche d’acétate, le grand Courbet est face contre terre dans l’enceinte, le chemin de ronde y paraît très étroit, environ 1,10m.  Image du milieu : -une fois retourné, sans cadre il ne pèse plus 350 kg, le tableau a été posé sur tréteaux avec un pont de travail ;

Ci-dessus : détail de la muse du peintre. A cette étape de l’opération, il est à remarquer que le tableau couché, couvert d’un plastique de protection, a une température chromatique (sensation visuelle chaud/froid) qui se rapproche par son aspect ‘chocolaté’ de la mauvaise reproduction témoin, visible sur la cage de verre du cliché précédent ;

En haut : -la peinture a été recouverte d’un film protecteur en vue de son transport vers un ‘site technique approprié’, la restauration du support ne pouvant s’exécuter in situ en bas : -vue d’ensemble de la cage de verre (avec de grands ektachromes anciens sur la vitre), on peut remarquer que la lumière du lieu n’est pas homogène et que des ombres portées descendent sur le mur de travail des restaurateurs.

Après une longue période sans informations – environ sept mois à partir de début mai 2015… (pour un recul temporel assez conséquent ? ou pour causes graves ?),  on a pu découvrir (cliché du 15 déc. 2015), un panneau explicatif, aux couleurs funèbres !  Il avertit, enfin, le public des visiteurs que des travaux cruciaux s’effectuent… On est arrivé à une « phase de restauration du support ».

Le site officiel communiquera (le 23 mars 2016) : « La restauration fondamentale du support – châssis et toile – s’est achevée fin février et L’Atelier du peintre est à nouveau exposé au public depuis le 7 mars ». Car c’est toujours rétrospectivement que les autorités muséales installent des dispositifs rassurants « dans un objectif de transparence envers le public qui ne dispose habituellement d’aucune information relative aux restaurations qui se déroulent dans les ateliers »[sic] :

En haut : -panneau trilingue indiquant ultérieurement que des problèmes majeurs nécessitent le déplacement de la toile ;  en bas : -issu du diaporama actuel au côté du grand Courbet, un relevé des altérations (soulèvements étonnants et complexes de la couche picturale du tableau), ici élément à lire et à comprendre entre quatre à six secondes pour le visiteur.

On demande au public de faire confiance aux experts disposant du savoir ‘scientifique’ !  – A-t-on seulement le droit d’appréhender un comportement à risque ?  Mais comment ne pas entrevoir ainsi une illustration des propos de Gropius les : « spécialistes sont des personnages qui… »[sic] !?  Car ils traitent ou font intervenir en public sur des peintures des temps jadis, avec des similitudes troublantes aux précédentes interventions :  Salle des Etats du Louvre pour le Véronèse ;  Pavillon Amont pour le Courbet et, maintenant, transept nord du musée d’Orsay.

Il est dit que ce sont de « nouvelles cages » ou « enceintes vitrées » mais que peut-on faire de pire qu’un ‘verre à reflets’ avec mauvais éclairage portatif, dans des conditions de travail parfaitement abstraites, si ce n’est de l’erroné… pour l’Art visuel ?

Les Femmes gauloises, A-B. Glaize, 1851, H 4,24 x L 6,51m :  là aussi, il n’y a de place que pour la « tyrannie du détail » : une vision très rapprochée, ou sous binoculaires ; un espace « exigu », voire mal commode et périlleux, compte tenu de la place occupée par les échafaudages ; une cage de verre sans recul possible, alors que la superficie de la salle d’exposition permettrait aussi une tout autre ampleur… Remarquons par ailleurs que la hauteur de l’œuvre de plus de 4 mètres 20  est plus importante que la profondeur de l’enceinte, moins de 4m. Il est à noter que les photos circulant pour la promotion de cette autre « restauration en public » – prises avec des objectifs ‘grand angle’–  sont trompeuses !

Etat des lieux, Pavillon Amont pour le Courbet (oct. 2016). Tout ne paraît-il pas être fait pour exclure une vision globale sur la peinture ? L’exigence de transparence est un nouveau fait de société, mais qu’en est-il ici ? Qui peut avoir une vue générale, sensible et critique de la toile ? Voilà ce que l’on baptise : ‘restauration en public’ ?  Un courriel du conservateur en chef des peintures nous fait savoir que : « Celle-ci touchant à sa fin, vous pourrez prochainement contempler la peinture de plus près après le démontage du dispositif » (soulignons le propos).

Interrogeons-nous : est-ce un jeu d’érotisation du regard, une retenue ? Cache-t-on pour mieux dévoiler ? Pourquoi maintient-on, devant les visiteurs, cette transparence voilée : « chacun s’accorde à penser que le public voit peu le travail en cours » ?

Si on a, comme approche de l’art pictural, qu’une peinture est la somme des détails d’un matériau exposé au musée  — « à voir de plus près » —  à quoi bon une vision globale d’une harmonie artistique… avec le recul optique nécessaire ?

Mais si l’on considère les qualités et les données nécessaires au format d’une perception spatiale humaine, dans sa liberté sensible et harmonique par la présence réelle de l’œuvre d’art, nous touchons à l’un des points essentiels escamoté, celui conçu pour l’œil :  un climat pictural.

Naît à partir de cette imprégnation, grâce à tous les niveaux possibles de reculs, un ressenti de l’Art :  le doute, le plaisir et le goût…  Attention et approche qui laissent une place ‘réaliste’ et belle à la subjectivité vécue du regardeur.

– Ici, toute forme de liberté individuelle est-elle à craindre ?

Avec le choix du non recul s’induit déjà l’un des fondamentaux de telles opérations :  source  méthodologique d’erreurs en restauration esthétique

– à suivre…

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