Esthétique + panthéonisation

Sans remonter aux coupoles de Florence ou de Rome, les origines du concept architectural du Panthéon de Paris sont essentiellement à percevoir comme réplique française au modèle de l’église Saint-Paul de Londres.

C’est l’idée qu’un cylindre, constitué de colonnes, va pouvoir porter l’élan vertical du mont d’une Cité – la montagne Sainte-Geneviève de Paris – vers le haut.  Et jusque dans la sphère d’une coupole ; puis en lanterneau devenant enfin pointe, et croix, à 83 mètres.

C’est aussi, en d’autres termes   I==(=)–+

Au Panthéon, avec l’architecture de Jacques-Germain Soufflot (1713-1780), combien y a-t-il de liens porteurs ?

D’abord, la première pierre est posée en 1764, par Louis XV : une vaste église classique selon une esthétique à l’antique. Puis, après travaux et reprises… arrive une décision d’affectation en « Temple républicain » (le 4 avril 1791) ; choix de l’Assemblée constituante pour honorer l’outre-tombe des plus glorieux Pères de France.

Ainsi passe-t-on, en République, de l’horizontalité générale de l’escalier – notre lot commun – à son vaste contraire : tendu et sublimé en dôme (au Panthéon, il y a trois coupoles, 3 valeurs de maintiens et de courbures, habillement unifiées), pour un fait avéré d’architecture ; une possibilité de verticalité épurée  – en lanterne haute sur la Cité !...

Esthétiquement, symboliquement, architecturalement calculée, sur la ‘montagne la plus intelligente du monde’ ce sont aussi comme les forces conjuguées des 12 premières colonnes cannelées du péristyle – sous fronton – qui sont traits d’union entre terre et ciel, support d’ordre plastique fondamental à la trentaine de piliers du tambour aérien, aux belles proportions d’un dôme à la française !

1)  Regard sur l’esthétique de l’architecture du Panthéon

En haut : la Cathédrale Saint-Paul de Londres après la bataille d’Angleterre. Au cœur d’un quartier totalement ravagé par les bombardements les plus modernes de la seconde guerre mondiale, le monumental bâtiment à l’antique a résisté  – tout un emblème !  Au centre : vision d’une des toutes premières cartes postales parisiennes du Panthéon, colorisée ! Tout paraît simple. Une architecture symétrique ‘en poussée’,  dialoguant avec l’église voisine de Saint-Etienne-du-Mont.  Un choix, le Panthéon est sobrement épuré entre 1791 et 1793. Il est modifié par Quatremère de Quincy (peut-être dans la pensée de la colonnade à l’antique de Claude Perrault au Louvre ?) pour mieux fonder sans doute le mystère d’une vaste crypte dédiée aux grands hommes de la patrie.  En bas : racines françaises ou à l’antique aux Etats-Unis d’Amérique, mais avec quelle ampleur !… Le Capitole, à Washington DC.

2)  Regard sur l’esthétique du Panthéon en restauration

Avec la nécessité d’un formidable chantier de restauration entre 2013 et 2022, le bâtiment prend des allures magnifiques de fusée Saturne V (sur son terre-plein d’envol), en plein Paris. Avec ses fameux emballages et spectacles artistiques de monuments masqués, Christo n’aurait guère fait mieux que cette formule abstraite d’ornementation.

« Lieu sacré de la République, le Panthéon est une nécropole. Les tombes ne peuvent servir de support à un message publicitaire. Le besoin de ressources propres ne justifie pas que l’on fasse n’importe quoi. On ne peut pas dire que le Panthéon est emblématique des valeurs de la République et y mettre le logo d’une marque », Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (le 25 février 2014), cf. lien fr.wikipedia.

Seulement voilà, l’ornementation contemporaine à Paris étant laissée, faute de Pub, au street-art, le goût culturel et démagogique du moment pouvait-il installer plus flatteur pour une réclame du quant à soi au Panthéon ?

Les photos « de milliers de portraits d'anonymes » pour couronner le monument…

Souffrons, mais prenons ici un peu de recul. Et voyons, par exemple, dans quel esprit David d’Angers avait su concevoir un fronton grandiose : assurément des visages fameux en référence aux valeurs universelles et humanistes incarnées au Panthéon, mais aussi et surtout des idéaux : figures mythologiques et emblèmes de valeurs suprêmes !  Cette sculpture est ainsi l’équivalent épique d’un discours exposé aux yeux de tous :

« Le gouvernement confie à David d'Angers la création du fronton sculpté de ce Panthéon en 1830. La réalisation du fronton est pour le sculpteur une nouvelle occasion d’exprimer son admiration et son soutien à ceux qui défendent la liberté. Mais son choix de représenter des personnages de l’opposition, voire des révolutionnaires, est controversé. Le fronton n’est dévoilé qu’en 1837, sans inauguration. » (cf. musée David d’Angers, en lien).

Au-dessus de tout et de tous : la République !  Le haut-relief représente une allégorie de la France. Au centre, la Patrie, vêtue à l’antique et coiffée d’un bonnet phrygien (symbole d’identité et de libération), tend des couronnes de laurier aux hommes glorieux et célèbres de l’histoire de France.

À sa droite : la Liberté introduit les écrivains et les artistes, les hommes politiques et les scientifiques. On reconnaît les philosophes Voltaire et Rousseau, le général La Fayette et le peintre Jacques-Louis David.

À sa gauche : l’Histoire, représentée en femme ailée, inscrit les noms des grands hommes sur ses tablettes. Vers elle avancent résolument les militaires pour défendre la Patrie, ici guidés par le jeune général Bonaparte.

David d’Angers s’affranchit avec maîtrise et habileté des contraintes matérielles de la forme triangulaire du fronton en pierre avec une composition iconographique vivante des plus astucieuse :

Aux extrémités de la composition, les figures plus petites étayées par les écritures en contre bas, sont, en haut : des Polytechniciens, intelligences dévouées à la Patrie ;  et, à gauche, en bas : des collégiens courbés sur leurs études.

– AUX GRANDS HOMMES   LA PATRIE RECONNAISSANTE –

– « Ecoute aujourd’hui jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici…

A côté de Carnot avec les soldats de l’An II, de celle de Victor Hugo avec les Misérables, de celle de Jaurès veillée par la Justice !... Qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées.

– Aujourd’hui jeunesse, puisses-tu penser à cet homme, comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe… du devenir – jour de ses lèvres qui n’avaient pas parlé !  Ce jour là, il était le visage de la France ! »  André Malraux, transfert des cendres de Jean Moulin, le 19 déc. 1964.

‘ Lieu sacré de la République, le Panthéon est une nécropole’. Or c’est magnifique aujourd’hui !  Par la force de l’agrandissement numérique du photomaton, et ainsi qu’à la télé, l’on peut devenir bien plus que le public des vedettes TV ; tous modèles et photographes : les visages ‘des sans-nom’ deviennent – Star d’un jour…  au profit de l’un des non-sens monumental dans et sur le Panthéon !  Mais attention, la sur-individuation – très nécessaire à la société de consommation –  est à la manœuvre :

L’échafaudage et la grue à la veille des cérémonies du 28 mai ! Cette photo manifeste que grâce au street-art numérique d’un petit malin à chapeau, lunettes et initiales « anonymes », la colonnade de Soufflot est encore ‘sur-vêtue’ de milliers de jeunes visages ; or, pour ce moment d’intensité particulière, d’évidence ils paraissent fanés par la pollution !  Le ridicule ne tue plus en ce jour auguste… Mais dites un peu à propos de dignité de la Patrie : comment serait vécu par le milieu littéraire français l’édition des horoscopes de quotidiens ou des nouvelles people, sous couverture de la Pléiade et en papier Bible ?

Certes, le discours du Président de la République introduit à l’avènement de quatre figures de la Résistance, avec gravité :

« Aujourd’hui la France a rendez-vous avec le meilleur d’elle-même. Ils étaient quatre : deux femmes, deux hommes. Ils sont quatre à entrer aujourd’hui dans le monument de notre mémoire nationale. (…) (Panthéonisation) qui veut que des personnalités remarquables soient données en exemple à la France toute entière pour inspirer les générations nouvelles (…). (cf. lien du précédent billet)

En haut : la rue Soufflot dans les préparations…  En bas : affiche de L. Quivogne (hors la lettre). Chacun de ces beaux visages est porté par la logique géométrique du rayonnement de l’hexagone. Et, ils y paraissent unis : 4 en 1, ‘tous pour une’ !  Il y va d’une dynamique résistante forte : noblesse du regard et visages de la dignité humaine… ‘Peut-on être libre quant on n’a plus sa dignité ?’ Et, François Hollande d’énoncer : « Quatre personnalités admirables, sans avoir voulu être admirés ; célébrés sans avoir imaginé être célèbres ;  reconnus, sans avoir cherché à être connus ! »

Portraits dessinés par Ernest Pignon-Ernest ; une mise en place artistique qui, en l’occurrence, paraît effectivement à l’échelle de cette canonisation laïque au Panthéon : des têtes monumentales, ‘couleur de cendres’ (fusain agrandi numériquement !), des quatre résistants célébrés : Jean ZAY, Geneviève DE GAULLE-ANTHONIOZ, Pierre BROSSOLETTE, Germaine TILLION.  « L’histoire, les souvenirs enfouis, la charge symbolique… Dans ce lieu réel saisi ainsi dans sa complexité (…). Cette insertion vise à la fois à faire du lieu un espace plastique et à en travailler la mémoire, en révéler, perturber, exacerber la symbolique…» (cf. site de E. Pignon-Ernest). A mon sens, un travail authentique de ‘street-art’, plus palpable qu’un concept photographique favorisé par la ‘business communication’ et la mondialisation actuelle. 

En haut : d’une part le culte provocateur de l’individuation surdimensionné d’aujourd’hui, des têtes de modèles dits ‘expressifs’ : « Je n’ai fait aucune de ces photos. Les gens ont participé à cette œuvre symbolique, qui amène à la réflexion... On a tous le potentiel, mais qu’est-ce qui fait un grand Homme aujourd’hui ?»  s’interroge JR.  En bas : il est intéressant d’observer que les figures sculptées ici par David d’Angers sont relativement surdimensionnées pour la vision naturelle aux pieds du Panthéon. A l’exception de la haute figure axiale de la République, les têtes du haut relief sont développées, ‘agrandies optiquement’ pour leurs rôles et leurs valeurs en fonction de la monumentalité du lieu de mémoire.

A bien considérer les rapports de grandeur et d’échelle entre la sculpture du fronton et le drapeau présent, les valeurs prédominantes d’un canon sont observables comme suit : la hauteur de la statue de la République équivaut à celle de la hampe du drapeau. Quant à l’élévation du gonfalon tricolore elle est égale à la hauteur de quatre têtes sculptées de héros français.

Par là même, la mise en rapport des milliers d’anonyme qui recouvrent le tambour tient peut-être de l’innocence ou l’étrangeté provocatrice.  Car que dire de ce mal installé, presque déjà vieux aujourd’hui (bien que contemporain), donc d’un supposé : « faire entrer tout le peuple dans les lieux de mémoire » ? – Tous aux Panthéon !?  Sinon… que d’évidence, et en comparaison à l’art accompli et savant de l’harmonie (des proportions), trop d’effets tue l’effet ;  faisant donc paraître pour la circonstance, le drapeau : bleu, blanc, rouge, sans valeur bien définie, et tout petit !

Dans le rapport à cette architecture imposante, quiconque pénètre dans le Panthéon se sent minuscule. Même pour un héros de la République, il faut le cérémoniel du grand jour pour magnifier le passage de son corps de mort à la panthéonisation. Notons ici que lors des répétitions, les cercueils portés par les gardes républicains n’ont pas encore l’ampleur du ‘sacré laïc’ du destin.

Vue du Panthéon le 26 mai 2015. Ici apparaît qu’à distance demeure la question d’un plan d’ensemble de la cérémonie vu par le peuple présent, par exemple, rue Soufflot… – vision hors de la zone des invités privilégiés et des prises de vue officielles ! En complément, reste peut-être à communiquer sur les couleurs et drapeaux, par trop virtuels en ce jour, pour rapprocher l’ensemble de nos concitoyens de leur culture esthétique significative ?

3)  Après la panthéonisation regard sur un aspect esthétique possible

à suivre

(En attente de l’autorisation d'utilisation de l’Elysée, la suite de cet article abondement illustré adviendra dès que possible.)