Actualisation du site

En 2004-2005, mon site fut ouvert en flash. Fallait-il alors, à partir de données en mouvement, présenter ainsi quelques images fixes ou picturales ?
A cette époque, se diffusait le jeu fascinant du Net... et de la liberté du cliquer sur tout ce qui bouge !

Quoique peintre, il était nécessaire d’être présent sur la toile virtuelle. Partout dans le monde, à chaque nanoseconde, advenait quelque autre nouveauté, plus ou moins esthétique et commerciale, mais toujours disponible par simple cliquetis et titillement de souris informatique. Se posait alors cette question: un effet d’immédiateté pouvait-il sonder autre chose que les fantômes de notre réel ?

Or, bien avant l’effet spécial technologique, la peinture était nœud d’illusions. Mais, à mon sens, l’art illusionniste (peut-être le seul qui vaille pour assumer, par la figuration, le risque d’être relativement vivant et dans la durée), se doit de dépasser l’effet premier, l’effet spécial de la vanité humaine.

Et voilà que nous sommes à l’heure de la consommation à tout va ; voire même de l’appropriation virtuelle à distance ; un ‘univers nouveau’, presque entièrement, dans la poche et sur portable : c’est vertigineux !

Je me souviens ici de discussions avec Leonardo Cremonini sur « les instruments culturels qui déterminent le climat et le paysage… ». J’ai eu la chance de le rencontrer d’abord en plein enseignement, en 1983, à l’ENSB-A (les Beaux-Arts de Paris). Comment ne pas être fasciné par sa merveilleuse force paradoxale ? « Force et résistance ne font qu’un. Dans le présent rien ne s’oppose, tout se conjugue » disait G. Braque. Pensée qu’il pouvait incarner tour à tour dans son jeu de Coloriste ou dans les contrastes de formules philosophiques !

Je ne fus pas vraiment son élève, mais le maître me faisait parfois l’amitié de ses arguments inouïs de ‘rhéteur’. Cremonini analysait sans cesse le degré d’authenticité de ce qui existe à notre époque. Il usait alors de propos toujours d’une langue comme de fer trempé, avant de mesurer cet acier là auprès de bien plus grands esprits que moi, tel son ami le médiologue Régis Debray.

Au cœur de nos conversations téléphoniques, il ressortait que la Peinture allait devoir vivre sa plus inquiétante crise… – « Ce n’est pas tellement sur le destin de l’art que je m’inquiète, mais sur le destin du désir. – Si le Désir a un destin mortifié, seul la culture de la violence va dominer ! ». Et avec quels accents de dégoût, Cremonini soulignait « l’obscénité contemporaine en art » ! A l’époque du Minimalisme et des Installations, Leonardo Cremonini percevait bien les dangers d’haleines gavées des parfums de la communication.

Pour nous, le contre exemple absolu était Balthus, ou peut-être Matta ?
Le Comte, au visage connu du seul cercle de quelques initiés, préservait ‘notre’ domaine subtil et mystérieux de la Peinture, car rien ne s’obtient en cette matière que par « longue mortification artisanale ; lente dictée intérieure…». Seulement voilà, si Balthus lui aussi se mettait à ‘divulguer ‘, « à donner des interviews… bien façon d’aujourd’hui… en Rossinière… Quel symptôme fatal ! ». Je me souviens de Cremonini me formulant ainsi le désarroi d’amis : « Au moment même où il n’a plus ‘rien à dire’, voici Balthus qui parle ! A sa disparition, c’est sûr, ses pires ennemis et les jaloux de service pourront crier sur les toits : – Le dernier des peintres est mort ! ». (C’était en 1995, et Balthus nous a quittés en février 2001).

Etait-ce divulgation, communication, ou hommage à l’Art pictural, lorsque, en 1977, Federico Fellini témoignait « d’un dialogue actif avec l’histoire qui, pour Balthus, est celui du signe et du geste qui se meuvent et se modifient dans l’espace et dans le temps, qui deviennent raison – voire rationalité – tout en demeurant le véhicule irremplaçable d’émotions complexes et filtrées qu’aucune parole avec son ‘flot de communication’ ne saurait préciser aussi nettement. » Pour les mentalités les plus fines de cette époque, n’y avait-il pas encore quelques différences ? « Tout homme crée sans le savoir, mais seul l’Artiste se sent créer, sa peine bien aimée le fortifie » paroles de Paul Valéry écrites en lettre d’or sur le Musée des Monuments français !

Fort de notre entente cordiale sur les mystères de la création artistique, Cremonini m’avait convié à le suivre à La Sorbonne pour l’une de ces «présentations de sa passion artistique ». Et ce fut un sacré supplice révélateur !

Il faut que je vous rapporte l’anecdote : C’était lors d’un des séminaires de Françoise Cunzy qui réunissait une trentaine d’étudiants (bien représentatifs !). J’avais donc fait signe à un renfort de grande pugnacité, mais surtout à l’un des géants en son Art : Raymond Mason, Sculpteur-peintre (de la même génération que Cremonini). Assis au dernier rang de la salle en large amphithéâtre, mais au premier rang de la fascination émise par tout le vécu de Cremonini, Raymond Mason et moi suivions…

La présentation de son Œuvre par la projection de diapositives pouvait permettre une certaine ouverture esthétique, un peu comme un catalogue en ligne.

Le référencement était simple – il y avait peu d’artiste aussi reconnu, non par le Marché, mais pour l’essentiel : la perception d’un objet vécu dans la Passion plutôt que joué dans la distance. Le doute et l’aura de Cremonini avaient fasciné non seulement les meilleurs esprits vivant en Italie, tels Alberto Moravia, Umberto Eco, mais aussi nos philosophes, écrivains et universitaires. La liste de ceux qui, tels Louis Althusser, Michel Butor ou Didier Sicard, ont eu envie d’écrire sur cette vision du monde est impressionnante.

Mais en Sorbonne arrive le moment des questions. Cremonini était habituellement brillantissime. Mais ce jour là… Trop de formules toutes faites sur « la liberté de la création individuelle » pour qu’un dialogue sans provocation puisse s’établir avec les intellectuels présents. Déjà en 1996, nous étions devant un bataillon uni par une pensée formatée ‘pomme C – pomme V’ + quelques mots ajoutés à l’information pour être des Créatifs… Avatars de la « Pissotière » de Marcel Duchamp ?

C’est alors qu’un ténor se leva : « Mais vous n’y êtes pas du tout avec vos peintures qui mettent tant de temps à être réalisées ! Vos sujets sont dépassés ! Le lieu de la Création, de La Liberté des individus, c’est Internet ; voyez un peu ce qui se met en ligne sur Internet (nous sommes déjà à plus de 10 000 000 d’ordinateurs connectés)! ».

Un silence de suite de tonnerre retentit… Puis la réponse de Cremonini avec son léger accent italien et la main à l’oreille : « Internet ? Internet ? Je ne connais pas : Interné !!! »

- Pas un rire, mais un froid pesant a gelé le débat ce jour là.

Mon site voudrait ‘communiquer’, sans les vider de leurs substances mystérieuses, l’envie d’ouvrages visuels hybrides : peintures prototypes, estampes en impression numérique, dessins… qui vont « du fusain au pixel ».
Le site est refondu intégralement en suite d’images fixes. Georges Braque disait : « Ce n’est pas le but qui intéresse, ce sont les moyens pour y parvenir. »

Je voudrais que ce site permette de voir, dans mes compositions, que je tente avec passion de percevoir l’émergence de mouvements subtils clarifiés au cours de la création artistique – de rencontrer progressivement les choses et les êtres pour mieux les goûter – et ainsi, revivifier le Désir ! Enfin, espérons…

Etienne TROUVERS