Les Champs épiphytes, de la peinture au multiple-artistique numérique

En quoi la journée de l'environnement concerne-t-elle un peintre ?

Mon point de vue ne peut être ni celui du biologiste, ni celui du savant naturaliste, ni même celui du militant politique. Mais le peintre que je suis - bien que nourri d'artificiel par les réalisations du XXe siècle -est continuellement préoccupé par des questions de contexte, de champ d'existence, de degrés de réalité ; en somme, par des questions d'interdépendance pour émettre diversité et sens.

Pourquoi parlez-vous à propos de votre travail " d'écologie esthétique " ?

Du projet pictural aux réalisations numériques, c'est un mode de résonances complexe et harmonique qui, pas à pas, oriente la projection de ma pensée sensible. Peintre, témoin actif de l'avènement de la présence dans la forme, ce sont les équilibres, les limites, et les possibilités à partir d'un milieu donné qui me passionnent. Mon espérance est de parfois parvenir à penser comme la nature, tout en étant homme du XXIe siècle. Ce n'est peut-être pas par abus de langage que je parle d'écologie esthétique…

Vos propos suggère que votre mode de penser est abstrait. Pourquoi figurez-vous des fleurs, des orchidées ?

Pour permettre de se confronter encore au réel ; dans cette suite d'œuvres, le principe d'une vision rapprochée sur des fleur-papillons (phalaénopsis amabilis) correspond à la suggestion d'un degré d'implication... A l'époque où j'ai été séduit par la beauté symétrique, et presque hiératique, de ces orchidées, elles n'étaient pas encore " la fleur la plus achetée des Français ". Or ceux-ci savent-ils que ces phalaénopsis sont des créatures hors sol ? Des végétaux très sophistiqués qui, pour trois raisons au moins, me paraissent emblématiques des fascinantes possibilités et limites de notre temps :
1. Issues d'autres climats (en l'occurrence des Philippines), les phalaénopsis sont des épiphytes. C'est-à-dire qu'elles se nourrissent, grâce à leurs racines aériennes, de particules en suspension dans le milieu ambiant. Réceptacles entre ciel et terre, elles ne se développent pas selon l'ordinaire des plantes terrestres, mais au sein d'un système global, où elles captent, communiquent, évoluent. C'est l'idée de fleurs "branchées" sur l'évolution ou sur la vie, et comme émergeantes d'un potentiel chaotique, qui m'a paru merveilleuse…
2. D'une disposition bilatérale et presque régulière entre sépales, pétales et label, ces fleur-papillons sont une suggestion mimétique et sexuelle pour le "pollinisateur". Leur symétrie permet un état de fixité long, idéal, et fascinant ! Qualités qui les font classer dans la famille végétale "la plus évoluée de la planète". Un jeu formel entre symétrie et rupture expressive de symétrie devient à nos yeux possible ; peut-être une métaphore de nous-mêmes dans le flux discontinu du monde contemporain ?
3. Il n'y a pas si longtemps encore, les phalaénopsis étaient rares, car quasiment impossibles à faire vivre sans des conditions de culture optimum (que seul un petit nombre de collectionneurs pouvait assurer à des "plantes mères"). Des techniques horticoles de sélection, d'hybridation, et de clonage permettent maintenant de produire non plus seulement au singulier, mais au pluriel, de bien plus belles espèces encore, devenues compatibles avec la vie d'aujourd'hui. Je ne suis pas sans voir là certaine analogie avec mes multiples-artistiques numériques.

Qu'est-ce qu'un multiple-artistique numérique ?

C'est tout l'aboutissement de mon travail.
Le M-A numérique n'est pas une image fixe ordinaire. Ce n'est pas un sous-produit du travail du peintre (pas plus que le tirage en bronze ou en résine n'est, pour le sculpteur, une sous-œuvre de son prototype en plâtre). C'est en tant que parachèvement de l'idée formelle, au moyen des outils technologiques les plus avancés, qu'il existe.
Le processus de réalisation commence d'abord par une approche en dessins et peinture à la colle. Par cet usage concret de la matière, fondé sur un métier antérieur à la peinture à l'huile, naît une œuvre prototype qui, scannée, permet de nourrir un énorme fichier informatique - une mémoire d'une richesse et d'une complexité telles qu'il devient passionnant de l'interpréter, voire de la réorchestrer, avec les derniers logiciels de traitement d'images ! Mon travail devient ainsi le champ d'une étroite collaboration avec un infographe sur Photoshop. A travers la numérisation, l'ordinateur donne non seulement la possibilité de multiplier les visuels sans la moindre déperdition qualitative, mais aussi celle de les doter d'une identité esthétique radicalement neuve. Par cette " post-production " au traceur et en jets d'encre de haute qualité - où je dirige et manipule encore tout un flux de forces sensibles - j'aboutis à ce fait-main-machine que sont les multiples-artistiques numériques.