Lettre ouverte au regardeur

Public, permettez-moi de vous faire part d’un courrier adressé à la Ministre de la Culture, suite à des années de lutte, et à propos de projets de « restauration esthétique » ;  par exemple ici d’un des joyaux du Musée des Beaux-Arts de Besançon : L’Ivresse de Noé de Giovanni Bellini (1430-1516). Il faut savoir qu’il s’agit d’un des derniers tableaux de cet artiste ayant gardé sa velature dorée.

Regardeur, l’on décape tout vernis dit ‘jaune’ ou ‘jauni’ au prétexte d’une ‘lisibilité’ véritable. Or c’est la grande affaire muséale d’une génération et demie d’interventionnistes… sur tableaux et sculptures d’autrefois !

Avec un peu de recul, ces opérations impliquent un coût toujours plus exponentiel pour la conservation de notre patrimoine artistique. Pourquoi investir des compétences et des moyens financiers pour faire perdre de leur valeur aux originaux ?  – D’où un sabordage idéologique, normatif, matériel et dogmatique...

En l’occurrence, une forme de falsification officielle de l’Art ancien au musée. Voire un discours prégnant sur l’Art visuel rendant aveugle… Est-ce possible ?

Or, voici qu’il serait bien de préserver ce Giovanni Bellini, tableau charnière de 1515, en tant qu’état témoin d’une autre esthétique… puisque son climat d’or léger est bien conservé, et témoigne concrètement de la spécificité vénitienne. Et ce, d’autant plus aujourd’hui, que pour correspondre à un goût imposé, il suffit à présent de proposer, en virtualité numérique facile, une version ‘crue’ à lisibilité touristique.

La France s’honorerait au domaine de la dite la « restauration » de maintenir – avec cette belle saveur dorée –  l’esprit de nuances dont elle était le phare, sans tricherie d’allégement des « vernis jaunes » ;  car !…  (par exemple, cf. compte-rendu de la ‘restauration esthétique’ des Noces de Cana  de Paul Véronèse, en date du 5/12/1989) : « L’effet final sera celui de l’allègement demandé par le département, même si pour y parvenir, la méthode n’est pas celle de l’amincissement progressif du vernis ».

Capture d’écran le 8 juin à 14h, (Google Image).  La diversité de ces visuels en chromie montre que la communication présente tend à nous faire croire déjà que l’œuvre picturale se doit d’être froide et neuve, donc… grise. Mais à quoi bon toucher par delà le jeu virtuel à la ‘matrice’ originale ? Remarquons que dans le visuel en bas, à gauche : Noé se caractérise mieux, avec richesse et sensualité, par une diversité de teintes plus ou moins dorées. Le visage, la barbe et les chairs ivres de vin correspondent au regard qualitatif de la Renaissance ; époque d’observation de la beauté humaine sur les premières chairs nues, selon : l’air, le climat coloré, la diffusion de la lumière…

Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon

« Un des chefs-d’œuvre du musée, L’Ivresse de Noé de Giovanni BELLINI, sera exposé au musée Correr à Venise du 5 mars au 18 juin 2016, dans le cadre de la manifestation 'De grands vénitiens de retour à Venise: chefs-d'oeuvre des musées français', qui prévoit de présenter au public vénitien une oeuvre différente tous les trois mois. L’oeuvre de Besançon inaugurera ce cycle (…) »

Ivresse de Noé, Giovanni Bellini, 1515, peinture tempera et huile sur toile, 103x157 cm, cliché du musée des Beaux-Arts de Besançon - avant restauration

Tout un programme à l’affiche ! Or, quelle est la nécessité vraie de telles "restaurations esthétiques" de ce Bellini après son exposition présente au Musée Correr de Venise ? Une confrontation avec la Transfiguration de G. Bellini, transfigurée  (après restauration) a-t-elle été à charge ?

La Transfiguration, G. Bellini, 1455, tempera et huile sur bois, 134x68 cm, Musée Correr Venise  - après restauration,  peinture ou imagerie ?

Un usage rénovant contre le chômage de restaurateurs interventionnistes ? Ou le pouvoir souverain de personnalités, dites immortelles… qui s’approprient la vie d’outre-tombe de l’Art ?

En l’occurrence, à quelle fin interrompre la transmission du fil des générations par quelques réductionnismes sur des peintures de la Renaissance ? Celles-ci attiraient par leur étrangeté merveilleuse ou leur portée affective, mais témoins gênants encore sauvegardés dans leur jus, bien dans le fameux blond vénitien (climat qui deviendra bientôt une légende en mots) ?

Mais avec de telles intentions (à grande échelle dite de ‘restaurations’ compétentes), c’est effectivement un ‘pictocide’ qui formate le goût et les idées.  Et avec quelles conséquences, déjà assurément perceptibles... Une forme de pollution mentale et délétère puisque les référents, au musée, sont touchés, voire exploités ?

C’est pourtant ici autant d’attitudes obsolètes, sinon révolues ; car n’ayant guère intégré que le monde actuel doit se redéfinir tout autrement après les engagements officiels de la COP21.

Mais voici encore qu’avec cette opération « généreuse », nous retrouvons à la manœuvre ceux qui  – à Venise et en France –  ont corrigé Paul Véronèse, entre autres…  A l’aise dans des idées de déconstruction (genre XXème siècle), ils se trouvent à devoir poursuivre la voie de celles et de ceux « nés comme pour tuer la peinture » (cf. Gustave Courbet). Attitude paonne de quelque jalousie non créative, peut-être ? Que de mobiles donc pour se servir encore dans l’immobile au musée !  Le péril est grand. Démarche pourtant fatale et insidieuse pour l’avenir !

Pour ma part, en cofondant l’ARIPA, j’ai rencontré encore l’élan des créations anciennes de ‘gens de métier’ (plus que des héritiers ou des intendants).

Et donc un Art visuel vécu en tant que discipline d’éveil ;  beauté offerte aux regardeurs, dans l’espérance utopique de l’Education et de la Culture. Le musée du Louvre étant alors un lieu de réalités sensibles et picturales ‘jaunes’ ou ‘dorées’, surtout propices à l’expression visuelle de la liberté et des capacités sensibles de l’être humain. Peintures manifestes pour un apprentissage de l’altérité !

Or c’est peut-être dès l’enseignement supérieur qu’il faudrait revoir l’optique de ceux qui interviennent ensuite  – d’autorité –  sur l’Art et la Culture.

En vous remerciant de bien vouloir relayer ces inquiétudes, je vous prie de croire en ma sincère et respectueuse considération,

Un artiste visuel, peintre, meurtri

le 7  juin 2016

à Madame Audrey AZOULAY
Ministre de la Culture et de la Communication

Objet :  suite aux dossiers des 14 février, 31 mars, et 14 avril 2016 relatifs aux ‘restaurations esthétiques’ dont celle du Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci

Madame la Ministre,

Vos services m’ont redemandé, en date du 13 avril 2016, les dossiers que j’avais déposés rue de Valois, dès votre prise de responsabilité du Ministère. Je pensais que cette demande était pour élaborer une réponse à des interrogations très légitimes, ou à celles de Corinne BOUCHOUX, sénatrice de Maine et Loire, vice-présidente de la Commission culture, éducation et communication du Sénat. Or le temps présent court pour les ‘interventionnistes’, mais contre l’intégrité de notre patrimoine artistique ; le ‘pictocide’ se propage et nous sommes toujours en attente de vous lire.

Permettez-moi aussi de vous alerter sur un nouveau chef d’œuvre, en bon état de conservation et de présentation, à ma connaissance ; tableau qui est en voie de passer en « restauration esthétique » malgré des réticences de conservateurs, d’amateurs et d’historiens de l’art.

Il s’agit de L’ivresse de Noé de Giovanni Bellini, joyau des collections du Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon. Peint en 1515 à Venise, il a été légué au musée par Jean GIGOUX en 1894.

Comme on peut le soutenir les œuvres de Léonard ou de Bellini, entre autres, ont été ni créées ni conçues pour l’optique actuelle dite de ‘lisibilité’ qui fait fi « de l’or léger des vernis et des glacis de finition des anciens maîtres », ainsi que l’ensemble complexe des traces de la mémoire sensible, ou dits ‘repeints’.  Véronique BESSE, députée de la Vendée, m’assure en date du 16 février 2016 : « Vous pouvez compter sur ma vigilance et ma détermination pour intervenir en faveur d’un moratoire de ces politiques dites ‘de restauration’ ainsi que de leur bilan par les techniques numériques visuelles comparatives, dès que l’occasion m’en sera donnée à l’Assemblée nationale. »

Le cas échéant, je me tiens à votre disposition pour toute rencontre complémentaire, suite aux principes d’innovation permis par les techniques numériques (cf. liens). Ils offrent la possibilité d’établir et de fournir une analyse critique, fine et rationnelle de la part visuelle d’une œuvre d’art par le moyen de l’imagerie différentielle.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en ma sincère et respectueuse considération.

Etienne TROUVERS

Restauration ou volonté de puissance ?

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